EXAGERE RIVISTA - Luglio - Agosto - Settembre 2024, n. 7-8-9 anno IX - ISSN 2531-7334

La perfusion fictionnelle chez les adolescents: Mangas, sagas, séries

(FRA/ITA – traduzione italiana in fondo)

di Gianfranco Brevetto

La consommation d’histoires de fiction chez les jeunes est devenue un phénomène de plus en plus croissant. Certains comme Harry Potter ou les Mangas caractérisent leur modes de vie et de consommation. Au-delà des aspects économiques, qu’est-ce qui pousse les jeunes vers ces nouveaux mythes ?

Julien Cueille, qui vient de publier, aux éditions érès, Mangas, sagas, séries, les nouveaux mythes des adolescents, est professeur et psychanalyste au contact des jeunes depuis plus de trente ans. Nous lui avons posé quelques questions à propos de son nouveau livre.

Je pourrais dire que votre livre m’a tout de suite paru très intéressant. Au début vous posez une question très forte : pourquoi a-t-on besoin d’histoires à tout âge ? Je vous pose cette question à mon tour.

J’ai travaillé sur ce livre pendant le confinement, alors que mes élèves et moi étions reclus-e-s; nous communiquions par téléphone, et j’ai pris conscience de l’importance vitale qu’avaient pour elles-eux les récits de fiction : comment aurions-nous fait, nous aussi, sans les plateformes de vidéos ?

Nous vivons aujourd’hui sous ce que j’appelle une “perfusion fictionnelle”: pendant le confinement mais déjà bien avant, nous avons pris l’habitude de consacrer toujours plus de temps, non seulement aux écrans en général, mais aux fictions: d’abord les séries, puis les films, et, s’agissant des jeunes, évidemment, les “animes” (dessins animés japonais tirés de mangas), et les jeux. Mais ce n’est pas une pratique spécifiquement adolescente. Il existe désormais des applications qui permettent de mesurer le temps passé devant des séries : on perçoit alors avec effarement que cela correspond à des semaines, voire des mois entiers de notre existence. Tout le monde ou presque est concerné, avec bien entendu des modes de visionnage ou d’accès diversifiés. Cela pose de réelles questions: est-ce une addiction? Une fuite du réel?

Il me semble que c’est surtout le signe que, plus que jamais, nous avons besoin de récits. Lyotard, le célèbre philosophe français, parlait, déjà à la fin des années 70, de “fin des grands récits”: il entendait par là les grands récits sociétaux, les grandes idéologies, telles que le marxisme, les récits nationaux, tiers-mondistes, et bien entendu les religions. Il n’est pas sûr que l’histoire lui ait donné raison! Mais il est vrai que quelque chose a changé dans nos rapports au récit en général. Les religions, les nationalismes n’ont pas disparu, mais fonctionnent sur un mode différent, plus distancié malgré tout, en tout cas dans nos sociétés occidentales : il y a quelque chose de cassé. Meme en Russie, il n’est pas si simple de décréter une mobilisation massive. Mais il faut bien se raconter des histoires. Faute de “grands récits” et de croire encore au sens de l’Histoire, on se contente, faute de mieux, de petits récits fictionnels.

Surtout, ce qui a changé dans la société, c’est qu’elle est devenue une société de l’information, où l’on est de plus en plus soumis aux impératifs d’une rationalité efficiente, sous l’égide du calcul économique; les outils technologiques sont au centre. On a cru, à un certain moment, que l’utopie des Lumières allait se réaliser: dissiper les croyances irrationnelles, les superstitions. Or l’être humain ne saurait renoncer aux croyances, aux “mythes” (au sens large d’irrationnel). On le voit avec les délires complotistes par exemple, ou la vogue des médecines alternatives, des tendances ésotériques. Et aussi, avec cette consommation effrénée d’histoires. C’est un peu comme le “retour du refoulé” de Freud: comme si des tendances “animistes”, comme dans les cultures d’autrefois où l’on croyait aux esprits, resurgissaient en nous, à mesure que nous nous éloignons de ces sociétés “tribales”.

Toute personne qui cohabite avec un adolescent qui se promène dans la maison a expérimenté une manière différente d’aborder la narration. Quelles sont les histoires les plus lues ? Et que révèle la consommation de ces fictions dans cette période délicate de la vie ?

La première surprise, c’est qu’il y a certes des histoires très lues, mais jamais une ou deux histoires que tout le monde aurait lu. Dans une classe, il est impossible de trouver une référence connue de tou-te-s. La surabondance de l’offre a diffracté les publics, ce qui est très important car chacun-e a le sentiment d’affirmer « ses » propres goûts, et non de suivre une mode. C’est évidemment une illusion, car les prescriptions des pairs restent très fortes ! Mais il y a, chez les ados, une sorte de snobisme généralisé qui consiste à mettre en avant ses préférences subjectives, même à propos de productions parfaitement commerciales. La même personne peut d’ailleurs regarder parfois des contenus exigeants, et aussi des œuvres mainstream.

Néanmoins on peut facilement dresser un palmarès de la dizaine de séries ou de mangas les plus appréciés. Ce sont des blockbusters, et l’impact de Netflix, et des gros éditeurs de mangas, est en outre très conséquent. Mais je crois que ce serait une erreur de s’arrêter là et d’en déduire que les jeunes sont simplement aliénés par un système de production culturelle de masse, même si ce n’est pas faux. Il y a des surprises, car certains films à gros budget connaissent l’échec, et inversement. Il n’y a pas de déterminisme absolu en matière de succès culturel, et par ailleurs le côté commercial de certaines œuvres n’empêche pas que les ados y puisent quelque chose de personnel, qui les concerne et les anime.

Il n’est pas de bon ton, aujourd’hui, de parler de cheminement initiatique : nos sociétés post- ou hyper-modernes semblent très loin du modèle des rites de passage. Pourtant, c’est bien ce qui ressort le plus des œuvres que les ados consomment. On le voit très bien chez Tolkien ou dans Star Wars, mais ce sont des références qui commencent à dater pour la génération actuelle. En revanche, pratiquement tous les mangas les plus lus s’inscrivent dans le même genre de schéma. On parle d’ailleurs d’un genre à part entière, le « nekketsu ». Dans les séries, c’est plus compliqué, plus ambivalent, il s’agit davantage de souligner une incertitude psychologique, qui nourrit aussi énormément les ados en construction. En revanche les jeux vidéo, plus encore que les mangas/animes, font la part belle, par définition, à la « quête » et au franchissement d’obstacles : le héros doit faire ses preuves, et c’est long… On pourrait résumer cela par la fameuse phrase de Nietzsche, phrase que tous les jeunes connaissent sans connaître son auteur : « tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

Je vous demanderais de répondre à ma curiosité, peut-être dictée par un manque de connaissances face à leur grand succès éditorial : qu’est-ce qui pousse petits et grands à lire des histoires de Manga ?

Les mangas jouent un rôle important car c’est un marqueur générationnel ; il faudrait nuancer, mais globalement c’est une lecture plutôt de jeunes, même si bien sûr beaucoup de parents s’en emparent. Pour ma génération, c’est très difficile d’entrer dans la lecture des mangas, qui au début nous tombent un peu des mains car les codes y sont très spécifiques. Le mélange des genres, le burlesque, les excès en tout genre, semblent éloigner des fictions européennes traditionnelles. Pour autant, ce sont le plus souvent des héritiers du roman d’aventures (lui=même héritier du roman de chevalerie), dont le critique littéraire Jean-Yves Tadié disait qu’il était la matrice même du romanesque. Peut-on penser que ces mangas connaîtraient le succès qu’ils rencontrent depuis des dizaines d’années, si ce n’était qu’un simple phénomène de mode, ou un artefact commercial ? Il m’a fallu aller y voir de plus près, pour comprendre ce qui retient les lecteurs et spectateurs-trices.

Comme dans le roman d’apprentissage, il y a une errance des personnages, qui ne se réduisent pas à un seul héros mais multiplient les personnages secondaires, souvent d’ailleurs plus « populaires » que le héros principal. Dans One Piece, les apprentis pirates dérivent d’île en île sur les océans, comme, sur terre, les mages de Fairy Tail ou les héros de Hunter X Hunter qui vont d’aventure en aventure. Les combats et les « pouvoirs » sont bien entendu omniprésents, comme d’ailleurs dans les comics américains de type Marvel ou DC. Mais les héros les plus attachants, aux dires des adolescent-e-s qui m’en ont parlé, ce sont moins les super-héros que les héros fragiles : ainsi le fameux Naruto, garnement le plus maladroit qui soit, qui finira par réaliser son rêve… mais après un nombre colossal de péripéties et de difficultés. Ou Deku dans My Hero Academia, le seul justement à ne pas avoir de « pouvoirs ».

On ne peut s’empêcher de penser que des processus d’identification sont à l’œuvre : comme chez un de mes interviewés, Lucas qui avoue : « je suis tombé amoureux de Naruto, je passais par toutes les émotions en le regardant » (l’anime), « je pleurais, je riais, je mangeais Naruto, je vivais Naruto… »  Or ces personnages ont, presque toujours, au moins trois points communs : ils vivent dans un monde absolument impitoyable où les formes de cruauté sont hyperboliques ; l’amour en est presque totalement absent, ainsi que la famille : de nombreux héros, enfants ou jeunes adolescents, sont orphelins, abandonnés, en tout cas les parents sont absents. On ne peut que s’interroger : pourquoi l’intrigue amoureuse, qui a constitué pendant si longtemps l’un des nœuds principaux des récits, est-elle aussi visiblement passée au second plan ? Et pourquoi les motifs « oedipiens », avec les conflits et les passions du lien familial, ont-ils disparu à ce point ?

Le terme mythe, en particulier chez les adolescents, est largement utilisé aujourd’hui, souvent de manière inappropriée. Quelle est la frontière entre les contes d’enfance et les nouveaux mythes ?

On ne peut pas parler de “mythe”s aujourd’hui comme on le faisait pour des sociétés antérieures. Il est évident que notre rapport aux croyances a évolué. Cela dit, le grand historien Paul Veyne a bien montré que les Grecs, eux non plus, n’avaient pas une foi sans réserve dans leurs propres mythes. Nous aussi, nous pouvons nous montrer parfaitement rationnels à certains moments, et entrer, jusqu’à un certain point, dans une sorte de consentement à la fiction. Ce sont des zones troubles de notre psychisme, qui touchent, je pense, à notre inconscient. D’accord, nous ne pensons pas que Harry Potter ou les Avengers existent pour de vrai; mais nous avons passé tellement de temps en leur compagnie qu’ils fonr partie de notre vie. Ce sont des “quasi-mythes”, des histoires qui nous passionnent, nous irriguent et forment une culture “virale”, qui se transmet par un enthousiasme contagieux, comme les anciens mythes ou les récits des sociétés tribales, selon des vecteurs évidemment différents.

Les contes de fée forment un univers lié à l’enfance, très riche, on le sait, parce que les contes renvoient à des conflits oedipiens très importants pour la construction du psychisme de l’enfant. Mais les mythes, c’est autre chose : on est de plain-pied dans un monde encore plus sombre, où rôdent des forces qui nous dépassent, et où il n’y a plus de “morale”. Justement, l’architecture du Seigneur des Anneaux de Tolkien nous le donne à voir de façon éclatante: le monde des Hobbits est présenté comme un univers de contes de fée; mais au-delà de la frontière, il existe un univers plus vaste, bien plus inquiétant. L’histoire de Frodon est celle d’un personnage de conte contraint à quitter l’enfance, confronté à la violence du réel.

C’est cet univers-là qui s’impose, au point d’ailleurs de menacer les contes de fée eux-mêmes, largement concurrencés, dès le plus jeune âge, notamment par Harry Potter qui est finalement beaucoup plus apocalyptique, noir et presque désespéré que les contes les plus cruels, aussi parce qu’il est traité de manière plus psychologique et moins féérique. Là encore, les parents sont morts, mais la relation avec eux n’est pas de nature oedipienne, comme c’est le cas dans beaucoup de contes; le problème de Harry, ce n’est pas de tuer le père ni de le venger, c’est de survivre, et de faire face à ce qu’on pourrait appeler sa mélancolie, ou son côté “borderline”. Par ailleurs l’amour n’a qu’une place très secondaire dans la saga, comme chez Tolkien, dont J.K. Rowling s’est beaucoup inspirée.

          Ces contes sont souvent peuplés de héros aux super pouvoirs et aux intrigues violentes. Pourquoi y a-t-il tant besoin de haine ?

-Il ne faudrait pas caricaturer les univers fictionnels, ni verser dans une sorte de discours un peu réactionnaire qui consisterait à dire que ces récits favorisent la violence, que c’est une sous-culture dangereuse pour la jeunesse, etc. Au contraire, je pense que les jeunes y puisent beaucoup d’éléments qui les aident à se construire. Et sur le lien avec la violence, les travaux du psychanalyste  Serge Tisseron montrent très bien que c’est beaucoup plus complexe, ce n’est pas l’exposition aux images violentes qui rend violent, et les jeunes que j’ai interviewé-e-s confirment cette idée. Il faudrait poser le problème autrement: pourquoi, effectivement, la violence est-elle si présente dans les fictions les plus populaires, c’est-à-dire pourquoi les créateurs de fictions rencontrent sur ce point leur public ; les jeunes ont, manifestement, comme d’ailleurs nous adultes, besoin d’aller voir des intrigues de ce type. Mais la littérature dite savante n’a rien à envier, en termes d’horreur et d’angoisse, à la culture populaire!

En fait cela va au-delà de la violence des combats ou des tortures, si courante qu’elle en devient banale et parfois comique; c’est l’univers fictionnel tout entier qui est “violent” au sens où il est noir, et marqué par un parfum d’apocalypse. Même si de nombreux mangas revendiquent une certaine légèreté, et sont sur le fil entre humour et tragique. La mort est de fait omniprésente, mais certains personnages (vampires, zombies et autres Nazgûl) sont semblables à des spectres, entre vie et mort. Le psychanalyste ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec de nombreux-ses patient-e-s “borderline”, pour qui l’errance subjective passe effectivement par une confrontation avec le “côté obscur”. Le schéma classique “névrose-résolution du complexe d’Oedipe-accès à la génitalité” n’est plus opérant. La grande affaire des patients d’aujourd’hui, c’est le narcissisme, et les pulsions de mort. J’en témoigne dans le livre à travers quelques vignettes cliniques.

Les fictions peuvent certainement jouer un rôle dans le parcours psychique des adolescent-e-s et même des adultes. En tout cas, c’est là qu’ils-elles vont chercher de quoi apprendre à devenir soi-même. Je pense que les jeunes ont besoin de chercher par eux-elles-mêmes des solutions, et de s’identifier à des héros-héroïnes complexes et ambivalents, qui ne sont plus forcément semblables aux héros des romans d’apprentissage. D’ailleurs, l’épaisseur psychologique des récits est ce qui les attire le plus. L’un des films les plus prisés par la génération actuelle, Joker de Todd Philips, met en scène un criminel dont on suit la genèse psychique: il s’agit moins de montrer la violence que de la comprendre, de l’intérieur, pour, peut-être?, espérer l’exorciser…

          –Une dernière question, peut-on entrevoir dans ces récits une sorte de métarécits à caractère transhumaniste ?

-Le transhumanisme est indéniablement dans l’air du temps, ne serait-ce que de façon indirecte, mais très concrètement, à travers les projets des GAFAM, les investissements faramineux dans les métavers et les intelligences artificielles. C’est probablement la dernière grande idéologie, mais qui n’ose plus toujours se revendiquer comme telle, car, en Europe du moins, le public n’y est pas prêt. Certains films comme Lucy de Luc Besson ou Avatar de James Cameron, y font clairement référence. On pourrait se demander juqu’à quel point la culture populaire, notamment américaine, avec ses super-héros, ne travaille pas dans ce sens. Mon hypothèse est exactement à l’opposé : au contraire, je pense que la pop culture, et la façon dont elle est reçue par les générations actuelles, est un rempart puissant contre le transhumanisme et l’emprise des savants fous de la Silicon Valley.

D’abord, le transhumanisme n’est précisément pas un mythe, plutôt une idéologie qui tente de connecter un imaginaire fictionnel avec un discours technoscientifique. Cela peut fonctionner, mais le propos se heurte très vite à un mur : c’est qu’il s’agit de transgresser ce qui fait le socle anthropologique des mythes, la mortalité. Les mythes antiques montrent que la toute-puisance est un leurre, et qu’on ne peut pas vaincre la mort. Certains ont essayé, comme Orphée, mais ils ont dû payer le prix de leur audace. Ishtar est ramenée à la vie, mais en échange du sacrifice de son époux; Osiris renaît mais seulement comme roi des morts, son frère, lui, est châtré; Dionysos l’immortel est dépecé, démembré et dévoré, etc. Et, ne l’oublions pas, la religion chrétienne parle de résurrection mais non sans la Passion du Christ. Les transhumanistes voudraient ignorer cette sagesse des mythes, pour lui substituer le « Vous ne mourrez point » du serpent de la Genèse.

Or les récits de la pop culture n’oublient jamais la part de renoncement à laquelle il faut consentir. Les super-héros ont leur face d’ombre, et doivent subir des épreuves, bien plus que de raison. En ce sens ces fictions sont beaucoup plus proches, à mon sens, des mythes traditionnels que du récit transhumaniste. Ce que confirment d’ailleurs mes élèves qui, dans leur écrasante majorité, ne se sentent nullement attiré-e-s par les sirènes de l’immortalité : ils-elles consentent à la finitude, et cherchent, par la médiation de la fiction, à faire l’expérience de leurs limites.

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Julien Cueille

Mangas, sagas, séries, les nouveaux mythes adolescents

Devenir soi-même par la fiction

éres éditions, 2022


La trasfusione fictionale negli adolescenti: manga, saghe, serie.

di Gianfranco Brevetto

Il consumo di fantasy tra i giovani è diventato un fenomeno sempre più in crescita. Alcuni come Henry Potter o i Manga caratterizzano il  modo di vivere e di consumare di queste generazioni. Al di là degli aspetti economici, cosa spinge i giovani verso questi nuovi miti?

Julien Cueille, che ha appena pubblicato, con le Editions érès, Mangas, sagas, séries, les nouveaux mythes des adolescents , è professore e psicoanalista a contatto con i giovani da più di trent’anni. Gli abbiamo fatto alcune domande.

-Potrei dire che il suo libro mi è subito sembrato molto interessante. All’inizio lei si pone una domanda molto forte: perché abbiamo bisogno di storie a qualsiasi età? Le giro, a mia volta, questa domanda.

– Ho lavorato a questo libro durante il lockdown, quando io e i miei studenti eravamo reclusi; abbiamo comunicato per telefono e mi sono reso conto dell’importanza vitale che le storie fantasy avevano per loro: come avremmo fatto anche noi senza le piattaforme video?

Viviamo oggi sotto quella che io chiamo una “trafusione fictonale”: durante il lockdown, ma già da molto tempo, ci eravamo abituati a dedicare sempre più tempo, non solo allo schermo in generale, ma alle fiction: in primo luogo alle serie, poi ai film, e, nel caso dei giovani, ovviamente, alle “anime” (cartoni animati giapponesi tratti da manga) e i giochi. Ma questa non è una pratica specificamente adolescenziale. Esistono applicazioni in grado di misurare il tempo trascorso a guardare le serie: percepiamo poi con sgomento che questo corrisponde a settimane, addirittura mesi interi della nostra esistenza. Quasi tutti sono interessati, ovviamente, con modalità diversificate di visualizzazione o di accesso. Chiediamoci: è una dipendenza? Una fuga dalla realtà?

Mi sembra che questo sia soprattutto un segno che, più che mai, abbiamo bisogno di storie. Lyotard, il famoso filosofo francese, parlava, già alla fine degli anni Settanta, di “fine delle grandi narrazioni”: con questo intendeva le grandi narrazioni sociali, le grandi ideologie, come il marxismo, le nazioni, il terzomondismo e, naturalmente, le religioni.

Non è sicuro che la storia gli abbia dato ragione! Ma è vero che qualcosa è cambiato nel nostro rapporto con la narrazione in generale. Le religioni, i nazionalismi non sono scomparsi, ma operano in modo diverso, più distanziato nonostante tutto, in ogni caso nelle nostre società occidentali si è rotto qualcosa. Anche in Russia non è più così facile decretare una mobilitazione di massa. In tutti i casi occorre raccontarsi storie. In mancanza di “grandi storie” e di credere ancora nel senso della Storia, ci accontentiamo, in assenza di qualcosa di meglio, di piccole storie di fantasia.

Soprattutto, ciò che è cambiato nella società è che questa è diventata una società dell’informazione, dove siamo sempre più soggetti agli imperativi di una razionalità efficiente, sotto l’egida del calcolo economico; gli strumenti tecnologici sono al centro. Abbiamo creduto, a un certo momento, che l’utopia dell’Illuminismo si sarebbe avverata: sfatare le credenze irrazionali, le superstizioni. Tuttavia, l’essere umano non può rinunciare alle credenze, ai “miti” (nel senso ampio di irrazionale). Lo vediamo con i deliri complottisti per esempio, la moda per la medicina alternativa, le tendenze esoteriche. E anche con questo consumo sfrenato di storie. È un po’ come il “ritorno del rimosso” di Freud: come se le tendenze “animiste”, come nelle culture di un tempo in cui credevamo negli spiriti, stessero riaffiorando in noi, mentre ci allontaniamo da queste società “tribali”.

-Chiunque viva con un adolescente che gira per casa ha sperimentato i loro modi diversi di affrontare la narrazione. Quali sono le storie più lette? E cosa rivela il consumo di queste fiction in questo delicato periodo della vita?

-La prima sorpresa è che ci sono sicuramente storie molto lette, ma mai una o due storie letta o lette da tutti. In una classe è impossibile trovare un riferimento noto a tutti. La sovrabbondanza di offerta ha distratto il pubblico, cosa molto importante perché ognuno ha la sensazione di affermare i “propri” gusti, e non di seguire una moda. Questa è ovviamente un’illusione, perché le pressioni dei coetanei restano molto forti! Ma c’è, tra gli adolescenti, una specie di snobismo generalizzato che consiste nell’esporre le proprie preferenze soggettive, anche su produzioni perfettamente commerciali. La stessa persona, a volte, può interessarsi, nello stesso tempo,  a contenuti impegnativi e a quelli mainstream .

Tuttavia, possiamo facilmente stilare un elenco delle dieci serie o manga più popolari. Sono quelle dei blockbuster, ma anche l’impatto di Netflix e dei grandi editori di manga è molto significativo. Ma credo che sarebbe un errore fermarsi qui e dedurre che i giovani sono semplicemente alienati da un sistema di produzione culturale di massa, anche se questo non è falso. Restiamo sorpresi quando pesiamo che dato alcuni film ad alto budget falliscono e viceversa. Non c’è determinismo assoluto in termini di successo culturale, e inoltre il lato commerciale di alcune opere non impedisce agli adolescenti di trarne qualcosa di personale, che li riguarda e li anima.

Non è di moda oggi parlare di cammino iniziatico: le nostre società post o ipermoderne sembrano molto lontane dal modello dei riti di passaggio. Tuttavia, questo è ciò che risalta di più nelle opere che gli adolescenti consumano. Lo vediamo molto bene in Tolkien o in Star Wars, ma questi sono riferimenti che stanno iniziando ad essere datati per l’attuale generazione. D’altronde, praticamente tutti i manga più letti seguono lo stesso schema. Parliamo anche di un genere a sé stante, il “nekketsu”. Nelle serie è più complicato, più ambivalente, si tratta più di sottolineare un’incertezza psicologica, che nutre enormemente anche i ragazzi in costruzione. D’altronde i videogiochi, ancor più dei manga/anime, danno un posto d’onore, per definizione, alla “ricerca” e al superamento degli ostacoli: l’eroe deve mettersi alla prova, e ci vuole molto tempo… si potrebbe riassumere con la famosa frase di Nietzsche, una frase che tutti i giovani conoscono senza conoscerne l’autore: “tutto ciò che non mi uccide mi rende più forte”.

-Le chiederei di rispondere ad una mia curiosità, forse dettata da una scarsa conoscenza di fronte al loro grande successo editoriale: cosa spinge grandi e piccini a leggere le storie manga?

-Il manga gioca un ruolo importante perché è un indicatore generazionale; si potrebbe entrare nei particolari, ma, nel complesso, è una lettura piuttosto giovanile, anche se ovviamente molti genitori se ne impossessano. Per la mia generazione è molto difficile entrare nella lettura dei manga, che all’inizio ci sfuggono di mano perché i codici sono molto specifici. La commistione di generi, burlesque, gli eccessi di ogni genere, sembra allontanarsi dalla narrativa tradizionale europea. Tuttavia, sono il più delle volte eredi del romanzo d’avventura (a sua volta erede del romanzo di cavalleria), che il critico letterario Jean-Yves Tadié ha detto essere la matrice stessa del romanticismo. Possiamo pensare che questi manga conoscerebbero il successo che hanno avuto per decenni, se fosse solo una semplice moda passeggera o un artefatto commerciale? Ho dovuto dare un’occhiata più da vicino, per capire cosa mette insieme lettori e spettatori.

Come nel romanzo di apprendistato, c’è un peregrinare dei personaggi, che non si riducono a un unico eroe ma moltiplicano i personaggi secondari, spesso peraltro più “popolari” dell’eroe principale. In One Piece, gli apprendisti pirati vanno alla deriva da un’isola all’altra degli oceani, come, sulla terraferma, i maghi di Fairy Tail o gli eroi di Hunter X Hunter che passano di avventura in avventura. Combattimenti e “poteri” sono ovviamente onnipresenti, come nei fumetti americani  Marvel o DC. Ma gli eroi che più prendono, secondo i teenager che me ne hanno parlato, non sono i supereroi m ai più fragili: così il famoso Naruto, il mascalzone più goffo che ci sia, che finirà per realizzare il suo sogno… ma dopo un colossale numero di avventure e difficoltà. O Deku in My Hero Academia, l’unico che non ha “poteri”.

Non si può fare a meno di pensare che i processi di identificazione siano al lavoro: come con uno dei miei intervistati, Lucas che ammette: “Mi sono innamorato di Naruto, ho provato tutte le emozioni mentre lo guardavo” (anime), “Ho pianto, ho riso , ho mangiato Naruto, ho vissuto Naruto…”. Ormai questi personaggi hanno quasi sempre almeno tre punti in comune: vivono in un mondo assolutamente spietato dove le forme di crudeltà sono iperboliche; l’amore è quasi del tutto assente, così come la famiglia: molti eroi, bambini o giovani adolescenti, sono orfani, abbandonati, comunque i genitori inesistenti. Ci si può solo chiedere: perché l’intrigo amoroso, che per tanto tempo è stato uno dei nodi principali delle storie, è passato così visibilmente in secondo piano? E perché i motivi “edipici”, con i conflitti e le passioni del legame familiare, sono scomparsi a tal punto?

-Il termine mito, soprattutto tra gli adolescenti, è ampiamente usato oggi, spesso in modo inappropriato. Qual è il confine tra fiabe d’infanzia e nuovi miti?

-Non possiamo parlare di “miti” oggi come facevamo per le società precedenti. È ovvio che il nostro rapporto con le credenze si è evoluto. Detto questo, il grande storico Paul Veyne ha mostrato chiaramente che anche i greci non avevano una fede senza riserve nei propri miti. Anche noi possiamo mostrarci perfettamente razionali in certi momenti, e poi entrare, in una sorta di consenso alla finzione. Queste sono aree problematiche della nostra psiche, che influenzano, credo, il nostro inconscio. Evidente, non pensiamo che Harry Potter o i Vendicatori esistano davvero; ma abbiamo passato così tanto tempo con loro che fanno parte della nostra vita. Si tratta di “quasi-miti”, storie che ci affascinano, ci irrigano e formano una cultura “virale”, che si trasmette attraverso un entusiasmo contagioso, come i miti antichi o le storie delle società tribali, secondo vettori ovviamente differenti.

Le fiabe formano un universo legato all’infanzia, molto ricco, come sappiamo, perché le fiabe rimandano a conflitti edipici molto importanti per la costruzione della psiche del bambino. Ma i miti sono un’altra cosa: siamo allo stesso livello in un mondo ancora più oscuro, dove vagano forze che sono al di là di noi e dove non c’è più alcuna “morale”. Proprio l’architettura del Signore degli Anelli di Tolkien ce lo fa vedere in modo brillante: il mondo degli Hobbit si presenta come un universo di favole; ma oltre il confine c’è un universo più grande, molto più minaccioso. La storia di Frodo è quella di un personaggio delle fiabe costretto a lasciare l’infanzia, confrontato con la violenza della realtà.

È questo universo che si impone, al punto da minacciare le stesse favole, con una forte concorrenza fin dalla tenera età, in particolare di Harry Potter, che è in fondo molto più apocalittico, oscuro e quasi disperato delle favole più crudeli, anche perché è trattato in un modo più psicologico e meno magico. Anche in questo caso i genitori sono morti, ma il rapporto con loro non è di natura edipica, come in molti racconti; Il problema di Harry non è uccidere il padre o vendicarlo, è sopravvivere e affrontare quella che potremmo chiamare la sua malinconia, o il suo lato “borderline”. Inoltre, l’amore ha solo un posto molto secondario nella saga, come con Tolkien, da cui J.K. Rowling ha tratto molta ispirazione.

-Questi racconti sono spesso popolati da eroi con superpoteri e trame violente. Perché c’è tanto bisogno di odio?

-Non dovremmo fare la caricatura di universi immaginari, né cadere in una sorta di discorso un po’ reazionario che consisterebbe nel dire che queste storie promuovono la violenza, che è una sottocultura pericolosa per i giovani, ecc. Al contrario, penso che i giovani ne traggano molti elementi che li aiutano a costruirsi. E sul legame con la violenza, il lavoro dello psicanalista Serge Tisseron mostra molto bene che è molto più complesso, non è l’esposizione a immagini violente a renderti violento, e i giovani che ho intervistato confermano questa idea. Bisognerebbe porre il problema in modo diverso: perché, infatti, la violenza è così presente nelle fiction più popolari, cioè perché i creatori di fiction incontrano il loro pubblico su questo punto; i giovani ovviamente, come noi adulti, hanno bisogno di andare a vedere intrighi di questo genere. Ma la cosiddetta letteratura accademica non ha nulla da invidiare, in termini di orrore e angoscia, alla cultura popolare!

Infatti si va oltre la violenza del combattimento o della tortura, tanto comune da diventare banale e talvolta comico; è l’intero universo immaginario ad essere “violento”, nel senso che è nero, e segnato da un profumo di apocalisse. Anche se molti manga rivendicano una certa leggerezza, e sono al confine tra umorismo e tragedia. La morte infatti è onnipresente, ma certi personaggi (vampiri, zombie e altri Nazgûl) sono simili a spettri, tra la vita e la morte. Lo psicoanalista non può fare a meno di entrare in contatto con molti dei suoi pazienti “borderline”, per i quali il vagabondaggio soggettivo implica effettivamente un confronto con il “lato oscuro”. Lo schema classico “nevrosi-risoluzione del complesso edipico-accesso alla genitalità” non è più efficace. Il grande problema dei pazienti di oggi è il narcisismo e le pulsioni di morte. Lo testimonio nel libro attraverso alcune vignette cliniche.

Le finzioni possono certamente avere un ruolo nel viaggio psichico degli adolescenti e persino degli adulti. In ogni caso, è qui che cercheranno qualcosa da imparare per diventare se stessi. Penso che i giovani debbano cercare soluzioni da soli e identificarsi con eroine-eroine complesse e ambivalenti, che non sono più necessariamente simili agli eroi dell’apprendimento dei romanzi. Inoltre, la profondità psicologica delle storie è ciò che li attrae di più. Uno dei film più apprezzati dall’attuale generazione, Joker di Todd Philips, ritrae un criminale di cui seguiamo la genesi psichica: non si tratta tanto di mostrare la violenza quanto di comprenderla, dall’interno, per (forse?) sperare di esorcizzarla…

– In ultimo, possiamo vedere in queste storie una sorta di meta-narrazioni di natura transumanista?

-Il transumanesimo è innegabilmente in sintonia con i tempi, anche se solo indirettamente, ma molto concretamente, attraverso progetti GAFAM, ingenti investimenti in metaversi e intelligenza artificiale. È probabilmente l’ultima grande ideologia, ma che non sempre osa più affermarsi come tale, perché, almeno in Europa, il pubblico non è pronto. Alcuni film come Lucy di Luc Besson o Avatar di James Cameron, vi fanno chiaramente riferimento. Ci si potrebbe chiedere fino a che punto la cultura popolare, soprattutto americana, con i suoi supereroi, non funzioni in questa direzione. La mia ipotesi è esattamente l’opposto:  penso che la cultura pop, e il modo in cui viene accolta dalle generazioni attuali, sia un potente baluardo contro il transumanesimo e le pressioni degli scienziati pazzi della Silicon Valley.

In primo luogo, il transumanesimo non è precisamente un mito, ma piuttosto un’ideologia che cerca di collegare un’immaginazione fittizia con un discorso tecnoscientifico. Questo può funzionare, ma il soggetto sbatte molto rapidamente contro un muro: si tratta di trasgredire a ciò che é la base antropologica dei miti, la mortalità. I miti antichi mostrano che l’onnipotenza è un’illusione e che la morte non può essere vinta. Alcuni ci hanno provato, come Orfeo, ma hanno dovuto pagare il prezzo della loro audacia. Ishtar viene riportata in vita, ma in cambio del sacrificio di suo marito; Osiride rinasce ma solo come re dei morti, suo fratello viene castrato; Dioniso l’immortale viene scuoiato, smembrato e divorato, ecc. E, non dimentichiamo, la religione cristiana parla di risurrezione ma non senza la Passione di Cristo. I transumanisti vorrebbero ignorare questa saggezza dei miti, per sostituirla con il “Non morirai” del serpente della Genesi.

Tuttavia, le storie della cultura pop non dimenticano mai la parte della rinuncia a cui bisogna acconsentire. I supereroi hanno il loro lato oscuro e devono affrontare prove, più della ragione. In questo senso, queste finzioni sono molto più vicine, a mio avviso, ai miti tradizionali che alla narrativa transumanista. Lo confermano i miei studenti che, nella loro stragrande maggioranza, non si sentono in alcun modo attratti dalle sirene dell’immortalità: acconsentono alla finitezza e cercano, attraverso la mediazione della finzione, di far vivere i propri limiti.

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Julien Cueille

Mangas, sagas, séries, les nouveaux mythes adolescents

Devenir soi-même par la fiction

éres éditions, 2022

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