EXAGERE RIVISTA - Luglio - Agosto - Settembre 2024, n. 7-8-9 anno IX - ISSN 2531-7334

Prigogine ou la vengeance du théâtre.

de Thémélis Diamantis

(FRA/ITA traduzione in fondo)

Caedite eos. Novit enim Dominus qui sunt eius. (Attribué à Arnaud Amalric lors du siège de Béziers en 1209.)

Ma vengeance est perdue s’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue (Racine, Andromaque)

Il ne vous aura certainement pas échappé que les sopranos tenant les premiers rôles dans les opéras survivent rarement au troisième acte, de même que les personnages d’Othello et de Desdémone n’en finissent pas le cinquième debout sur leurs deux jambes… À la fin des représentations, toutefois, tous les chanteurs et les comédiens viennent saluer le public, lequel en retour les applaudit.

Le théâtre[1] repose sur des codes qu’il partage en toute transparence avec les spectateurs. Au fond, il y va du théâtre comme de la circulation routière : pour produire leurs effets, leurs codes doivent être intégrés et appliqués par tous. À la différence de ceux employés par la signalétique routière, les codes théâtraux renvoient par contre à des signifiés internes et non externes.

L’art théâtral repose sur le postulat de l’illusion non dissimulée qu’il produit et qui relie la scène au public. Comme le lever de rideau, ce principe préfigure le spectacle, l’émotion, l’intrigue et la réflexion des spectateurs. Le « faux » que le spectacle théâtral produit est au service de la vérité qu’il dévoile et entend servir, puisque l’ambition théâtrale vise à permettre par la fiction un regard sur le monde réel, dans ses multiples facettes. L’illusion théâtrale est un détour pour (mieux) parler du réel, une fiction pour dire le vrai. C’est sur ce pacte entre la scène et la salle que repose, pour le dire avec Aristote, la valeur cathartique du théâtre. L’identification aux personnages sur scène, qu’il favorise chez le public, se produit uniquement parce que l’espace théâtral se dit et se déploie sous la bannière revendiquée de la fiction. Il met en scène des récits et non des faits. Espace de représentations, il interagit avec celles (mentales) des spectateurs qu’il interroge.

C’est dans le cadre de la fiction que des chanteurs et des comédiens en chair et en os se mettent au service des personnages qu’ils interprètent ; ils ne se confondent pas avec ces derniers ; ils les incarnent, leurs prêtent leurs voix, leurs corps, leurs expressions et leur métier le temps de la représentation. Une fois la lumière revenue dans la salle, le public ne s’y trompe pas, applaudissant les chanteurs ou les comédiens et non les personnages. La réalité reprend alors ses droits, sur scène et dans le public. Dans la Tosca, le personnage de Scarpia est autant méprisable que le baryton qui lui prête sa voix peut susciter les éloges pour sa maîtrise du jeu et du chant. Les décors, l’éclairage, les costumes et les maquillages participent à ce même projet : donner l’apparence du réel à des situations, un texte et des sentiments qui sont uniquement joués.

Au théâtre, on fait semblant – comme le feraient des enfants conscients du fait qu’ils jouent – non pour s’éloigner de la réalité ou lui échapper mais pour mieux la rejoindre ou l’éclairer par le biais de la fiction et de l’illusion théâtrale. Le psychanalyste Donald Winnicott avait d’ailleurs également théorisé dans cette perspective l’importance du jeu chez les enfants, comme espace intermédiaire (transitionnel) entre le sujet et le monde externe.

Si la fiction et le réel sont en permanence articulés sur les planches, la distinction de leurs plans respectifs est toujours maintenue, comme l’illustre l’exemple suivant. Récemment, mon ami Adolphe Nysenholc – ancien Professeur de Cinéma à l’Université Libre de Bruxelles et grand spécialiste, notamment, des œuvres de Chaplin et d’André Delvaux – me rapportait la situation suivante à laquelle il avait personnellement assisté : lors du tournage du film de Delvaux « L’œuvre au noir » (1988), l’acteur principal – Gian Maria Volonté – avait demandé à l’équipe de télévision belge venue filmer des scènes en train de se tourner de quitter le plateau car il ne pouvait se trouver simultanément sous la caméra d’un cinéaste réalisant une fiction et de celle de reporters filmant la réalité d’un moment de cinéma. Un reportage porte sur le réel ; un film raconte une histoire. Les deux regards peuvent exister mais pas en même temps ou de manière confondue.

Cette distinction est d’autant plus importante quand elle s’applique à la mort. Sur les plateaux de théâtre, c’est parce qu’elle est jouée ( « pour de faux », comme le disent les enfants) et non subie (« pour de vrai ») qu’elle peut occuper une place dans des spectacles. Sa vision serait sinon insupportable.

Et Evgueni Prigogine, me direz-vous ? Que viendrait faire un aussi triste sire sur un si beau sujet ? L’imagine-t-on seulement dans un théâtre ou s’intéressant à ce qui s’y passe ? Vu sous cet angle, mon titre serait au mieux une captatio, une farce (ou une antiphrase), une absurdité ou un paradoxe.D’ailleurs la mort entourant Prigogine est bien réelle, tant celle qu’il a semée sur les champs de guerre que la sienne propre.

On parle pourtant aussi de « théâtres de guerre » et de « scènes de conflits », de même qu’on en pointe souvent « l’absurdité », comme pour dire que ce qui s’y produit excède l’entendement et le réel ; tout comme la mort, la guerre pouvant la répandre serait un impensable dont la vue traduirait une effraction analogue à celle de la mort elle-même. Quant au théâtre, outre les pièces du répertoire classique, il est lui-même réputé pour avoir produit des œuvres qui mettent en scène l’absurde (Beckett, Ionesco, Jarry) mais aussi le réel, y compris la mort, situant sur les plateaux des réalités sociétales brutes pour mieux les donner à penser. On appelle ce courant, né vers le milieu du 19ème siècle et très présent encore à notre époque, le « théâtre réaliste». Alors pourquoi ne pas questionner la frontière entre la fiction et la réalité, voir si de nos jours les codes régissant ces deux plans ou les frontières qui les séparent ne se sont pas déplacés ? C’est ce qu’interrogeront les lignes à venir sur le sujet de la mise en images et en récits des faits de guerre.

Hors des salles de théâtre ou de cinéma, comment rencontre-t-on, ou a minima pense-t-on la mort … quand on est vivant, ou la guerre quand on ne la fait pas ? L’image – par les divers médias – de cadavres produits par la guerre est-elle comparable à l’expérience de ceux qui les croisent sous le feu des combats ? C’est une question de proximité avec la (et le) mort et la guerre, mais au fond, voir une personne morte – par une image ou dans les faits – revient toujours à poser son regard sur une réalité étrangère à l’ensemble des vivants. Pour voir la mort, il faut être en vie.

L’ensemble de ces morts – les vrais comme les faux – par contre nous parlent et nous interrogent ; si la mort, de notre vivant, ne nous est pas accessible dans sa réalité, elle rencontre notre lecture intime de sa vérité, donc les représentations que nous en avons et les affects qui les entourent. Il n’existe pas de réalité sans représentation, sans récit, et donc sans une certaine forme de fiction. C’est pourquoi la mort est l’affaire des vivants plus que des morts. On ne peut que parler de la mort, même en l’ayant vue de près : Louis-Ferdinand Céline a réellement vécu la Grande Guerre au front, mais le témoignage le plus saisissant qu’il en a laissé – ce qui s’y est passé et ce que cela a induit psychologiquement chez ceux qui ont survécu aux combats – figure dans le roman que lui a inspiré cette expérience (Voyage au bout de la nuit, 1932).

La mort entretient ainsi, par le biais de sa mise en récit, une relation privilégiée avec le champ de l’art, comme théâtre des représentations et miroir de ce signifié qui par essence nous échappe tout en nous étant intimement familier : chacun comprend qu’il est lui-même ce roi auquel sa mort est annoncée en début de représentation (Eugène Ionesco, « Le roi se meurt », 1962) et qu’elle est donnée à penser par l’expérience sensible du regard porté sur les œuvres d’artistes plasticiens, comme « The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living » (Damian Hirst, 1991) ou « Réserve » (Christian Boltanski, 1990). S’inscrivant dans la perspective ouverte par Marcel Duchamp, de telles installations agissent comme des tableaux (au sens de la peinture ou du théâtre) renvoyant au spectateur ses propres interrogations sur la mort. Ils s’adressent aux sens des spectateurs pour mieux stimuler leur pensée. C’est par l’art plus que par la guerre que la plupart d’entre nous approchons la question de la mort. Si la mort en soi est d’une réalité inaccessible aux vivants, sa lecture relève nécessairement des représentations et des récits portant sur elle.

C’est également ce qui rapproche l’art de la psychanalyse (entendue sous son jour clinique) : tous deux cherchent la vérité (y compris celle des dispositions agressives) par le biais des récits, des représentations et des affects. La scène inconsciente (celle des rêves par exemple) est un théâtre intime au sein duquel nous jouons tous les rôles, même celui du public…

Si la guerre, de son côté, produit des faits (et des morts), elle construit également des récits. Plus particulièrement depuis la première guerre du Golfe en Irak (1990-91), les grands conflits font l’objet d’une couverture médiatique par des images et des commentaires soutenus, notamment sur les chaînes d’information. Plus que par le passé, on voit la guerre et on en commente les images. Si elle n’est évidemment pas un spectacle, elle en adopte le format sur les écrans de nos télévisions, de nos ordinateurs, de nos tablettes et de nos smartphones. Si l’on parle de « guerre des images », c’est bien parce que les conflits armés conduisent aussi à une « guerre de communication ». Cette dernière mène donc à une production de récits à partir d’images. C’est l’inverse du théâtre (ou du cinéma) dont le texte ou le scénario précèdent et construisent le visuel proposé. Il importe donc de s’assurer que le narratif produit sur des faits de guerre n’emprunte pas ses codes à la fiction, au risque de servir non la vérité (par la fiction) mais l’erreur ou le mensonge (par une narration impropre de la réalité). La fiction ne se fait vérité qu’au théâtre. Dans la vie réelle, elle n’est souvent que mensonge. Pour être pertinent, au théâtre comme dans la vie, tout contenu doit donc s’accompagner de la forme qui lui correspond.

La fiction théâtrale ne peut en effet pas être qualifiée de mensonge ou de sophisme, ni mener à eux, car elle se dit d’emblée en tant que fiction et situe son espace sur le terrain du jeu. Une illusion non-dissimulée ne peut être mensongère. À l’inverse, certains récits portant sur des faits de guerre sont de purs mensonges, comme le négationnisme qui tente de minimiser l’horreur des camps d’extermination nazis, d’en contester le nombre de victimes, voire de rendre les Juifs responsables de la « propagande » qu’ils créeraient autour de cette question…C’est une démarche sophistique qui tente de tordre la perception de certaines vérités factuelles. Quand on ne peut changer les faits, on tente d’en modifier le récit.

Ce même phénomène peut avoir lieu par la scénarisation de certains faits de guerre au travers d’un narratif ne se présentant pas comme une fiction mais qui en adopte les codes par une dramatisation orientée du réel. En dehors des lieux conçus pour l’abriter, le théâtre ne peut être que trahi ou récupéré. L’emploi de ses codes sur le terrain de la guerre sert bien souvent de cheval de Troie au mensonge ou aux intérêts de ceux qui cherchent à s’en approprier les pouvoirs. D’une fiction vertueuse, ils font un mensonge intéressé.

Sous ce jour, Evegueni Prigogine constitue l’exemple flagrant d’une utilisation autant sophistique que maladroite de certains codes théâtraux dont il pensait tirer profit à des fins personnelles qui ne doivent rien au théâtre. Richard Wagner a composé des opéras ; le groupe Wagner est constitué de mercenaires, pour beaucoup sortis des prisons, et payés pour tuer. Il ne suffit pas de se donner le nom d’un dramaturge (même si celui choisi par ce groupe était ouvertement un sympathisant du nazisme…) pour se revendiquer des arts de la scène.

Quand il défiait devant une caméra Volodymyr Zelensky dans un combat aérien seul contre lui pour décider du sort de Bakhmut ou qu’il s’en prenait avec véhémence au dénommé Choïgou (ministre de la Défense russe) et à son vice-ministre Gerassimov, – les accusant de ne pas lui avoir fourni plus de munitions, pour tuer davantage d’ennemis et limiter ses propres pertes humaines – tout en dénonçant leur mode de vie luxueux qui leur vaudra les flammes de l’enfer, Prigogine se mettait en scène comme le ferait un acteur de cinéma. Devant la caméra, il insulte, menace et vitupère. Il joue la colère, l’indignation, la force, le courage. Il veut incarner la figure du héros qui se bat avec panache, par les armes et avec les mots. Il pense donner à voir un courroux noble au service d’une cause qui l’est tout autant. Dans cette dernière séquence, pour finir de convaincre son public, Prigogine demandait à la caméra d’élargir le champ de vision pour faire voir ce qui se trouve derrière lui : on découvre alors les corps alignés de plusieurs de ses soldats morts, couverts encore de leur sang. Quelques mouches survolent leurs cadavres.

Le problème de Prigogine est double : il joue faux et il n’est pas sur une scène de théâtre mais de guerre. Il fait du (mauvais) théâtre en un lieu qui n’est pas conçu pour l’accueillir. Il mélange de ce fait les codes du théâtre et de la guerre … et cela se voit. Réclamer plus d’armes à sa hiérarchie militaire relève d’une logique ou d’une stratégie de guerre ; le faire par médias interposés vise à transformer l’opinion publique en un public comme celui qui fréquente les salles de spectacle. Une telle action contrevient aux codes militaires et théâtraux. Or un comédien n’est jamais entouré de vrais morts autant qu’un chef de guerre ne joue pas des sentiments mais accomplit des actions militaires. Prigogine n’est donc crédible sur aucun des deux plans, ni en tant que comédien, ni comme Dux Bellorum. Véritable chien de guerre, il était un acteur pitoyable, vraisemblable ni en Antigone remplie de colère face à Créon, ni en Rodrigue (Le Cid, pour reprendre son surnom de guerre) tuant le comte de Gormas par sens du devoir. Pour rendre crédible l’idée de vertu, encore faut-il l’incarner. Prigogine en était loin, sur scène comme dans la vie.

Il ne réalise pas qu’en produisant son numéro d’acteur dans l’espace réel, il coupe court à tout effet de théâtre. Les vrais morts construisent les fausses fictions. De même, dans la vraie vie, le respect envers les morts (qui sert de toile de fond au discours de Prigogine) ne s’exprime pas davantage par un flot d’injures et de grossièretés qui transforme ceux-ci en faire-valoir d’un mauvais comédien. Un véritable acteur joue la colère (comme Leonardo DiCaprio le fait admirablement dans le film « Django Unchained » de Quentin Tarantino) ; même « fausse » elle sonne davantage vrai que celle d’un homme qui confond jouer et parler fort. D’ailleurs l’intensité que dégage un (vrai) comédien résulte de son jeu ; elle ne réside pas simplement dans la quantité de décibels qu’il produit ou les grimaces qu’il effectue.

Ce mélange des codes de la fiction et de la guerre se reconnaît tout autant dans sa tentative de putsch du 23 juin dernier, où il envoya ses chars sur Moscou avant d’interrompre leur progression à 200 kilomètres de la capitale. Voulait-il réellement renverser Poutine et son gouvernent ou produire, à des fins d’avenir politique personnel, un spectacle en mondovision pour renforcer son image de héros auprès de l’opinion russe ? Était-ce une action militaire ou une scène de théâtre politique ? Officiellement, Poutine avait pardonné son insurrection à Prigogine. Mais on sait bien qu’au théâtre (même quand il est détourné), les traîtres meurent toujours à la fin.

C’est peut-être ainsi que Thalie (la Muse du théâtre) se venge des mauvais acteurs comme de ceux qui veulent détourner son art. Deux mois, jour pour jour, après son acte de rébellion, Prigogine mourrait dans la chute de son avion lors d’un vol privé reliant Moscou à Saint Petersburg.

Ironie du sort, sa mort ressemble à sa « prestation » tant elle traduit elle-même le mélange indigeste des genres dont il usait : il meurt dans la réalité comme un personnage de fiction, rejoignant dans les faits les morts dont il avait fait un élément de décor théâtral. Après avoir perdu le combat de la fiction et de la réalité, Prigogine mourait dans ce qui aux yeux du monde apparaît comme la conclusion en images d’un récit dont il était devenu un personnage. Depuis sa tentative de rébellion, le monde attendait la mort de Prigogine comme les spectateurs de « Titanic » attendent l’arrivée de l’iceberg sur l’écran. Adressées à l’opinion publique russe, les tirades de Prigogine ont surtout trouvé l’oreille (bien réelle) de Poutine, lequel manie les mêmes armes que lui (y compris un usage dévoyé de la mise en scène et du mensonge) mais avec plus de moyens, d’expérience et de discrétion. Les clefs de la scénarisation, ce 23 août 2023, avaient manifestement changé de mains. Quand dans le réel, le mensonge construit l’histoire, il mène à de tristes spectacles qu’aucun public ne souhaite applaudir.

Les services officiels russes mènent, affirme le Kremlin, une enquête rigoureuse et impartiale sur les causes de ce crash. Nul doute que le narratif explicatif auquel l’enquête aboutira fera état d’un problème technique de l’avion, à moins qu’elle n’évoque un attentat commis par les Ukrainiens, l’Occident, des factions rivales de Wagner, des mouvements politiques russes hostiles au pouvoir ou des extra-terrestres…

Pour ma part, j’attends avec impatience la fin de la guerre en Ukraine autant que de retrouver sur scène les pièces de Tchekhov, Gorki, Gogol, Ostrovski, Pouchkine et de tant d’autres auteurs qui rendent fiers d’être Russes même ceux qui ne le sont pas.


Prigožin o la rivincita del teatro.

di Thèmèlis Diamantis

Caeditis eos. Novit enim Dominus qui sunt eius. (Attribuito ad Arnaud Amalric durante l’assedio di Béziers nel 1209.)

La mia vendetta è persa se lui non sa, morendo, che sono io a ucciderlo (Racine, Andromaque)

Non vi sarà certo sfuggito che i soprani protagonisti delle opere liriche difficilmente sopravvivono al terzo atto, così come i personaggi di Otello e Desdemona non finiscono il quinto in piedi… Alla fine delle recite, tuttavia, tutti i cantanti e gli attori vengono a salutare il pubblico, che a sua volta li applaude.

Il teatro[1] si basa su codici che condivide in modo trasparente con gli spettatori. In fondo, il teatro è come la circolazione stradale: per produrre i suoi effetti, i suoi codici devono essere integrati e applicati da tutti. A differenza di quelli utilizzati dalla segnaletica stradale, i codici teatrali si riferiscono invece a significati interni e non esterni.

L’arte teatrale si basa sul postulato dell’illusione palese che produce e che collega il palco al pubblico. L’alzarsi del sipario è il principio che prefigura lo spettacolo, l’emozione, l’intrigo e la riflessione degli spettatori. La “falsità” che lo spettacolo teatrale produce è al servizio della verità che rivela e intende servire, poiché l’ambizione teatrale mira a consentire, attraverso la finzione, uno sguardo sul mondo reale, nelle sue molteplici sfaccettature. L’illusione teatrale è una deviazione per (meglio) parlare della realtà, una finzione per dire la verità. È su questo patto tra scena e platea che, per dirla con Aristotele, poggia il valore catartico del teatro. L’identificazione con i personaggi in scena, che essa incoraggia tra il pubblico, avviene solo perché lo spazio teatrale si esprime e si dispiega sotto la pretesa bandiera della finzione. Rappresenta storie e non fatti. Spazio di rappresentazioni, interagisce con quelle (mentali) degli spettatori che interroga.

È nell’ambito della finzione che cantanti e attori in carne e ossa si mettono al servizio dei personaggi che interpretano; non sono confusi con questi ultimi; li incarnano, prestando loro le loro voci, i loro corpi, le loro espressioni e la loro professione per tutta la durata dello spettacolo. Una volta tornata la luce nella sala, il pubblico non s’inganna, applaudendo i cantanti o gli attori e non i personaggi. La realtà poi prende il sopravvento, sul palco e tra il pubblico. In Tosca il personaggio di Scarpia è tanto spregevole quanto il baritono che presta la sua voce può attirare elogi per la sua maestria nel suonare e nel cantare. Le scenografie, le luci, i costumi e il trucco contribuiscono a questo stesso progetto: dare l’apparenza di realtà a situazioni, testi e sentimenti solo recitati.

In teatro si fa finta – come farebbero i bambini coscienti del fatto che stanno giocando – non per allontanarsi dalla realtà o per sfuggirle ma per meglio unirsi ad essa o illuminarla attraverso la finzione e l’illusione teatrale. Anche lo psicoanalista Donald Winnicott aveva teorizzato in questa prospettiva l’importanza del gioco nei bambini, come spazio intermedio (transitorio) tra il soggetto e il mondo esterno.

Se finzione e realtà si articolano permanentemente sui tabelloni, la distinzione tra i rispettivi piani viene sempre mantenuta, come illustra l’esempio seguente. Recentemente, il mio amico Adolphe Nysenholc – ex professore di cinema alla Libera Università di Bruxelles e grande specialista, in particolare, delle opere di Chaplin e André Delvaux – mi ha riferito la seguente situazione di cui aveva assistito personalmente: durante le riprese del film di Delvaux film “L’oeuvre au noir” (1988), l’attore principale – Gian Maria Volonté – aveva chiesto alla troupe televisiva belga venuta a vedere le scene in corso di riprese di lasciare il set perché non poteva trovarsi contemporaneamente sotto la telecamera di un regista che stava filmando una fiction e quella dei reporter che filmano la realtà di un momento cinematografico. Un resoconto riguarda la realtà; un film racconta una storia. Entrambi i punti di vista possono esistere ma non contemporaneamente o in modo confuso.

Questa distinzione è tanto più importante quando si applica alla morte. Sulle scenografie teatrali, è perché rappresentata (“per finta”, come dicono i bambini) e non subita (“per davvero”) che può occupare un posto negli spettacoli. Altrimenti la sua visione sarebbe insopportabile.

E Evgenij Viktorovič Prigožin , mi direte? Cosa farebbe un signore così triste su un così bell’argomento ? Lo immaginiamo solamente in un teatro o interessato a ciò che accade lì? Visto da questo punto di vista, il mio titolo sarebbe, nella migliore delle ipotesi, una captatio, una farsa (o un’antifrase), un’assurdità o un paradosso. Del resto, la morte che circonda Prigogine è molto reale, sia quella da lui seminata sui campi di guerra, sia la propria.

Si parla però anche di “teatri di guerra” e di “scene di conflitto”, così come spesso si sottolinea la loro “assurdità”, come a dire che ciò che accade lì va oltre la comprensione e la realtà. Quanto al teatro, oltre alle opere del repertorio classico, è esso stesso rinomato per aver prodotto opere che mettono in scena l’assurdo (Beckett, Ionesco, Jarry) ma anche la realtà, compresa la morte, collocando sulla scena le crude realtà sociali per meglio far riflettere. Chiamiamo questo movimento, nato intorno alla metà del XIX secolo e ancora molto presente ai nostri giorni, “teatro realistico”. Allora perché non mettere in discussione il confine tra finzione e realtà, per vedere se oggi i codici che governano questi due piani o i confini che li separano non si sono spostati? Questo è ciò che si domanderanno le prossime righe sul tema della rappresentazione degli eventi bellici in immagini e racconti.

Fuori dai teatri o dai cinema, come incontriamo, o almeno pensiamo, la morte… quando siamo vivi, o la guerra quando non la combattiamo? L’immagine – diffusa dai diversi media – dei cadaveri prodotti dalla guerra è paragonabile all’esperienza di chi li incontra sotto il fuoco dei combattimenti? È una questione di vicinanza alla (e alla) morte e alla guerra, ma in fondo vedere un morto – attraverso un’immagine o di fatto – equivale sempre a guardare una realtà estranea a tutti i vivi. Per vedere la morte, devi essere vivo.

Tutte queste morti – quelle vere come quelle false – d’altronde ci parlano e ci interrogano; se la morte, nel corso della nostra vita, non ci è accessibile nella sua realtà, essa incontra la nostra lettura intima della sua verità, quindi delle rappresentazioni che abbiamo di essa e degli affetti che la circondano. Non esiste realtà senza rappresentazione, senza narrazione, e quindi senza una certa forma di finzione. Ecco perché la morte è una questione dei vivi più che dei morti. Della morte non si può che parlare, anche vedendola da vicino: Louis-Ferdinand Céline ha vissuto davvero la Grande Guerra al fronte, ma la testimonianza più eclatante che ha lasciato – ciò che accade o che ha prodotto psicologicamente in chi è sopravvissuto – appare nel romanzo a cui questa esperienza lo ispirò (Voyage au bout de la nuit, 1932).

La morte mantiene, attraverso il suo racconto, un rapporto privilegiato con il campo dell’arte, come teatro di rappresentazioni e specchio di questo significato che per essenza ci sfugge pur essendoci intimamente familiare: ognuno capisce di essere lui questo re a cui la morte viene annunciata all’inizio della performance (Eugène Ionesco, “Il re sta morendo”, 1962) o chi viene portato a riflettere attraverso l’esperienza sensibile di guardare le opere di artisti visivi, come “L’impossibilità fisica della morte nella mente di qualcuno che vive” (Damian Hirst, 1991) o “Réserve” (Christian Boltanski, 1990). Partendo dalla prospettiva aperta da Marcel Duchamp, tali installazioni agiscono come dipinti (nel senso di pittura o teatro) inviando allo spettatore le proprie domande sulla morte. Fanno appello ai sensi degli spettatori per stimolare meglio il loro pensiero. È attraverso l’arte più che attraverso la guerra che la maggior parte di noi si avvicina alla questione della morte. Se la morte in sé è una realtà inaccessibile ai vivi, la sua lettura dipende necessariamente dalle rappresentazioni e dai racconti che la riguardano.

Questo è anche ciò che avvicina l’arte alla psicoanalisi (intesa nella sua luce clinica): entrambe ricercano la verità (compresa quella delle disposizioni aggressive) attraverso storie, rappresentazioni e affetti. La scena dell’inconscio (quella dei sogni per esempio) è un teatro intimo in cui recitiamo tutti i ruoli, anche quello del pubblico…

Se la guerra, dal canto suo, produce fatti (e morti), costruisce anche storie. Più in particolare, a partire dalla prima guerra del Golfo in Iraq (1990-91), i principali conflitti sono stati oggetto di copertura mediatica attraverso immagini e commenti prolungati, in particolare sui canali di informazione. Più che in passato vediamo la guerra e ne commentiamo le immagini. Se ovviamente non è uno spettacolo, adotta il formato sugli schermi dei nostri televisori, dei nostri computer, dei nostri tablet e dei nostri smartphone. Se parliamo di “guerra delle immagini” è perché i conflitti armati portano anche ad una “guerra di comunicazione”. Quest’ultimo porta quindi alla produzione di storie a partire dalle immagini. È l’opposto del teatro (o del cinema) il cui testo o scenario precede e costruisce il visivo proposto. È quindi importante garantire che la narrazione prodotta sugli eventi bellici non prenda in prestito i codici dalla finzione, col rischio di servire non la verità (attraverso la finzione) ma l’errore o la menzogna (attraverso la narrazione impropria). La finzione diventa verità solo a teatro. Nella vita reale, spesso è solo una bugia. Per essere rilevante, in teatro come nella vita, ogni contenuto deve quindi essere accompagnato dalla forma che ad esso corrisponde.

La finzione teatrale non può infatti essere qualificata come menzogna o sofisma, né condurre ad essi, perché si dichiara fin dall’inizio come finzione e colloca il suo spazio sul campo di gioco.Un’illusione palese non può essere la menzogna. Al contrario, certe storie relative agli eventi bellici sono pure menzogne, come il negazionismo che tenta di minimizzare l’orrore dei campi di sterminio nazisti, di contestare il numero delle vittime, o addirittura di rendere gli ebrei responsabili della “propaganda” che avrebbero fatto. creare attorno a questo problema… È un approccio sofistico che tenta di distorcere la percezione di alcune verità fattuali. Quando non possiamo cambiare i fatti, proviamo a cambiare la storia.

Questo stesso fenomeno può avvenire attraverso la sceneggiatura di alcuni eventi bellici attraverso una narrazione che non si presenta come finzione ma che ne adotta i codici attraverso una drammatizzazione orientata della realtà. Al di fuori dei luoghi destinati a proteggerlo, il teatro non può che essere tradito o recuperato. L’uso dei suoi codici in campo bellico molto spesso funge da cavallo di Troia per le menzogne ​​o per gli interessi di coloro che cercano di appropriarsi del loro potere. Da una finzione virtuosa, ricavano una bugia egoistica.

In questa luce,Evgenij Viktorovič Prigožin e costituisce l’esempio lampante di un uso tanto sofisticato quanto maldestro di certi codici teatrali di cui pensava di trarre profitto per fini personali che non hanno nulla a che fare con il teatro. Richard Wagner compose opere; il gruppo Wagner è composto da mercenari, molti dei quali rilasciati dalle carceri e pagati per uccidere. Non basta darsi il nome di un drammaturgo (anche se quello scelto da questo gruppo era apertamente simpatizzante del nazismo…) per affermarsi nelle arti dello spettacolo.

Quando ha sfidato Volodymyr Zelenskyj davanti a una telecamera in un combattimento aereo da solo contro di lui per decidere il destino di Bakhmut o quando ha attaccato con veemenza il cosiddetto Shoigu (ministro della Difesa russo) e il suo vice ministro Gerassimov, – accusandoli di non avendogli fornito più munizioni, per uccidere più nemici e limitare le proprie perdite umane – pur denunciando il loro stile di vita lussuoso che gli varrà le fiamme dell’inferno, Prigožin si presentò come quello che sarebbe diventato un attore cinematografico. Davanti alla telecamera insulta, minaccia e vitupera. Suona la rabbia, l’indignazione, la forza, il coraggio. Vuole incarnare la figura dell’eroe che combatte con brio, con le armi e con le parole. Pensa di mostrare una nobile rabbia al servizio di una causa altrettanto nobile. In quest’ultima sequenza, per convincere il suo pubblico, Prigožin ha chiesto alla telecamera di allargare il campo visivo per mostrare ciò che c’è dietro di lui: scopriamo quindi in fila i corpi di diversi suoi soldati morti, ancora coperti di sangue. Alcune mosche volteggiavano sui loro cadaveri.

Il problema di Prigožin è duplice: suona stonato e non è su un palcoscenico teatrale ma su un palcoscenico di guerra. Crea (cattivo) teatro in un luogo che non è pensato per accoglierlo. Mescola quindi i codici del teatro e della guerra… e si vede. Richiedere più armi alla tua gerarchia militare fa parte di una logica o di una strategia di guerra; farlo attraverso i media mira a trasformare l’opinione pubblica in un pubblico come quello che frequenta i teatri. Tale azione contravviene ai codici militari e teatrali. Ma un attore non è mai circondato da morti veri così come un leader di guerra non interpreta sentimenti ma compie azioni militari. Prigogine non è quindi credibile su nessuno dei due livelli, né come attore né come Dux Bellorum. Vero cane da guerra, era un attore pietoso, credibile né come Antigone piena di rabbia di fronte a Creonte, né come Rodrigue (Le Cid, per usare il suo soprannome di guerra) che uccide il conte di Gormas per senso del dovere. Per rendere credibile l’idea di virtù è ancora necessario incarnarla. Prigogine era tutt’altro, sul palco come nella vita.

Non si rende conto che producendo il suo atto recitativo nello spazio reale stronca ogni effetto teatrale. I veri morti costruiscono false finzioni. Allo stesso modo, nella vita reale, il rispetto per i morti (che fa da sfondo al discorso di Prigogine) non si esprime in un diluvio di insulti e di maleducazione che li trasforma in un tirapiedi di “un cattivo attore”. Un vero attore interpreta la rabbia (come fa mirabilmente Leonardo DiCaprio nel film di Quentin Tarantino “Django Unchained”); anche “falso” suona più vero di quello di un uomo che confonde l’agire con il parlare ad alta voce. Inoltre, l’intensità che emana un attore (reale) risulta dalla sua interpretazione; non sta semplicemente nella quantità di decibel che produce o nelle smorfie che fa.

Questa miscela di codici di finzione e di guerra è altrettanto riconoscibile nel suo tentativo di colpo di stato del 23 giugno, quando inviò i suoi carri armati a Mosca prima di interromperne la avanzata a 200 chilometri dalla capitale. Voleva davvero rovesciare Putin e il suo governo o produrre, ai fini del suo personale futuro politico, uno spettacolo mondiale per rafforzare la sua immagine di eroe presso l’opinione pubblica russa? Era un’azione militare o una scena di teatro politico? Ufficialmente Putin aveva perdonato Prigogine per la sua insurrezione. Ma sappiamo bene che nel teatro (anche quando se ne abusa) i traditori alla fine muoiono sempre.

Forse è così che Talia (la musa del teatro) si vendica dei cattivi attori e di coloro che vogliono appropriarsi della sua arte. Due mesi esatti dopo il suo atto di ribellione, Prigožin morì nello schianto del suo aereo durante un volo privato che collegava Mosca a San Pietroburgo.

Per ironia della sorte, la sua morte somiglia alla sua “performance” in quanto riflette essa stessa l’indigesta mescolanza di generi da lui utilizzati: muore in realtà come un personaggio di fantasia, unendosi di fatto alle morti di cui aveva fatto un elemento di arredo teatrale. Dopo aver perso la battaglia tra finzione e realtà, Prigožin muore in quella che al mondo sembra essere la conclusione per immagini di una storia di cui era diventato un personaggio. Dal suo tentativo di ribellione, il mondo attende la morte di Prigožin come gli spettatori di “Titanic” attendono l’arrivo dell’iceberg sullo schermo. Rivolte all’opinione pubblica russa, le invettive di Prigožin hanno trovato soprattutto l’orecchio (molto reale) di Putin, che brandisce le sue stesse armi (compreso un uso sconsiderato della messa in scena e della menzogna) ma con più mezzi, esperienza e discrezione. Le chiavi della sceneggiatura, il 23 agosto 2023, erano chiaramente passate di mano. Quando in realtà sono le bugie a costruire la storia, portano a spettacoli tristi che nessun pubblico vuole applaudire.

Secondo il Cremlino, i servizi ufficiali russi stanno conducendo un’indagine rigorosa e imparziale sulle cause dell’incidente. Non c’è dubbio che il resoconto esplicativo a cui condurrà l’indagine menzionerà un problema tecnico con l’aereo, a meno che non menzioni un attentato commesso da ucraini, dall’Occidente, da fazioni rivali di Wagner, da movimenti politici russi ostili al potere o da extracomunitari. terrestri…

Da parte mia, aspetto con impazienza la fine della guerra in Ucraina così come vedo in scena le opere di Cechov, Gorkij, Gogol, Ostrovsky, Pushkin e tanti altri autori che rendono orgoglioso di essere russo anche chi non lo è.


[1] Il resto della discussione affronterà il teatro e il cinema nella stessa luce a causa dell’illusione visiva e della finzione su cui si basano queste due arti. Sarebbe ovviamente opportuno notare le molteplici differenze. Non lo faccio per non deviare dall’argomento, scusandomi con i lettori per questa approssimazione.

[1] La suite du propos abordera sous un même jour le théâtre et le cinéma du fait de l’illusion visuelle et de la fiction sur lesquels ces deux arts reposent. Il conviendrait évidemment d’en marquer les multiples différences. Je ne le fais pas pour ne pas m’écarter du sujet, tout en m’excusant auprès des lecteurs de cette approximation.

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