EXAGERE RIVISTA - Gennaio-Febbraio 2025, n. 1-2 anno X - ISSN 2531-7334

De la rhétorique et des poulpes : stratégies de persuasion et mécanismes de défense dans le discours des patients en psychanalyse.

par Thémélis Diamantis

(FRA/ITA traduzione italiana in fondo)

Jetant son encre vers les cieux / Suçant le sang de ceux qu’il aime / Et le trouvant délicieux, / Ce monstre inhumain, c’est moi-même. (Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée, 1911).

Il vaut mieux que les enfants rougissent des parents que les parents des enfants (Raymond Queneau, Le Chiendent, 1933)

Le dieu, dont l’oracle est à Delphes, ne parle pas, ne dissimule pas : il signifie. (Héraclite, Fragments, 54.)

J’aime beaucoup les documentaires animaliers : la manière dont dans la nature les espèces élaborent des stratégies pour échapper à leurs prédateurs ou à l’attention de leurs proies me fascine. De mes études philosophiques, je garde intacte mon admiration pour la rigueur de la pensée aristotélicienne. Psychanalyste, je réfléchis toujours aussi dans le canevas de ma discipline. Cet article se situe à l’intersection des trois.

Dans la Rhétorique ( environ -329 – -323 av. J.-C.)[1], Aristote distingue trois types de discours argumentatifs en fonction de l’auditoire qu’ils visent : le discours délibératif (s’adressant au politique pour l’inviter à l’action), le discours judiciaire (produit à l’intention des juges, en termes de défense ou d’accusation) et le discours épidictique (pour démontrer la moralité – ou l’absence de moralité – d’un individu). L’orateur, quant à lui, exerce selon Aristote son art de la persuasion en recourant à trois marqueurs discursifs : l’éthos, le pathos et le logos.

L’éthos (ἦθος)[2] correspond à l’image de soi que le locuteur cherche à promouvoir auprès de son auditoire, au respect du principe que les plus grandes vertus sont nécessairement celles qui sont les plus utiles aux autres (Rhétorique, 1366a. 6). L’éthos doit se reconnaître dans le contenu des propositions avancées autant que dans la forme qu’elles empruntent (le ton humble de la voix, la pondération du propos, l’attitude corporelle du locuteur, etc.). L’éthos agit à la manière d’une signature morale de l’orateur, d’une marque propre de son caractère, lequel se doit d’incarner une forme de crédibilité par l’intégrité ou la vertu de celui qui parle en vue d’obtenir la confiance de ceux auxquels il s’adresse.

Le pathos (πάθος)[3] est un moyen d’argumentation visant à agir sur les émotions de l’auditoire. Pour reprendre quelques-unes des distinctions entre éthos et pathos formulées par Christian Plantin dans son Dictionnaire de l’argumentation[4], le recours à l’éthos vise à se concilier le public, à le persuader, à gagner son empathie et à lui apporter une satisfaction morale, là où le pathos – en sollicitant dans l’auditoire des affects comme la crainte, la colère, la pitié, l’envie, la honte, la haine, etc. – tente d’en arracher l’approbation en exerçant sur lui une emprise rhétorique qui le trouble (voire le violente) tout en lui procurant une satisfaction esthétique (par opposition à une satisfaction morale).

Quant au logos (λόγος)[5], dans le sillage d’Héraclite qui en faisait une qualité universellement répandue entre les humains, il traduit pour Aristote la raison reliant les individus, au sens de l’argumentation rationnelle dont la pertinence est susceptible d’être reconnue par le public, parallèlement à la crédibilité morale de celui qui s’exprime (éthos) ou des sentiments que son discours fait naître en l’assistance (pathos). Selon le contexte, ses buts et ses talents personnels, un bon orateur, pour Aristote, doit savoir manier les trois.

Qu’elle vise des fins délibératives, judiciaires ou épidictiques, il est entendu que l’éloquence oratoire s’exerce pour Aristote dans l’espace public. Il semblerait donc abusif d’appliquer comme tels les marqueurs discursifs de l’éthos, du pathos et du logos à des échanges se produisant dans un contexte où la parole se déploie de manière intime entre deux personnes.

À y regarder de plus près, pourtant, la parole que produisent les patients sur le divan à l’intention de leur analyste[6] n’est pas dénuée d’une forme de rhétorique[7] reprenant d’ailleurs les marqueurs identifiés par Aristote, notamment dans les nombreux mécanismes de défense – leurs résistances, dit-on sur le plan clinique – toujours également mis en jeu par leurs discours. Or c’est précisément sur le terrain des résistances, nous apprend Freud, que se gagnent ou échouent les cures en psychanalyse.

Désireux d’être entendus par leur psychanalyste dans leurs souffrances et leurs pensées, les patients tentent bien souvent aussi de le convaincre de la pertinence de celles-ci. Ils produisent alors à son intention une argumentation à teneur rhétorique, même si leur parole s’adresse, dans la confidentialité du cadre analytique, à un individu singulier et non à une assemblée publique. Est-il vraiment surprenant de trouver de tels élans oratoires chez les patients ? Le psychanalyste est-il, par ailleurs, un interlocuteur dont la présence ne trouve sa place que dans leur sphère intime ?

Espace de l’intimité par la forme et le contenu de ses séances, la psychanalyse est également une profession et ses représentants des professionnels occupant une fonction publiquement identifiée. Comme le rappelle fort à propos Paul Ricoeur dans De l’interprétation : Essai sur Freud (1965), bon nombre de psychanalystes – Freud en premier – par leurs écrits, leurs conférences, leurs enseignements, etc. – produisent ou ont produit une parole dans l’espace collectif, autrement dit à l’intention d’un public ou d’un auditoire excédant celui de leur patientèle ou de leur communauté professionnelle. Ils ouvrent de ce fait au domaine public le champ de leurs connaissances et du débat portant sur elles. La parole qui en retour est adressée aux psychanalystes par leurs patients n’est-elle dès lors soutenue que par des codes intimes comme ceux caractérisant, par exemple, les échanges entre deux époux, des parents et leurs enfants ou des amis entre eux ? La connaissance – parfois très fine – des éléments de théorie et de méthode dont font preuve nombre de patients ne participe-t-elle pas aussi à la nature des échanges avec leurs analystes ? N’est-elle d’ailleurs pas souvent à l’origine de la demande qu’ils leur adressent ? Notons que la neutralité des psychanalystes peut aisément être vue elle aussi comme un marqueur délibéré de la frontière entre ces deux champs ; elle rappelle, en tant qu’élément du cadre, que les séances constituent un lieu de travail (professionnel autant que psychique) et non un simple échange de propos à caractère confidentiel entre deux personnes. Si la cure encourage évidemment chez les patients le déploiement d’une parole personnelle, ceux-ci savent tout autant que leur analyste ne fait pas partie, au sens courant du terme, des acteurs de leur sphère privée. Ils rencontrent ce dernier dans son cabinet ; ils le paient, en attendent un service, etc. Ils s’adressent toujours à lui dans le cadre de ses fonctions et de son métier. Leur demande, toutes proportions gardées, s’inscrit de ce fait également dans un registre transactionnel comparable dans sa forme à celui d’un client venant, par exemple, acheter une baguette de pain dans une boulangerie ou d’un amateur de football se rendant au stade pour voir un match. Dans une boulangerie, on trouve du pain et dans un stade du football. Mais que trouve-t-on dans le cabinet d’un psychanalyste ? On y découvre, par le biais du langage et de la relation intersubjective, l’angle mort de sa perception du monde. Or cette connaissance ne s’acquiert ni comme une baguette de pain, ni comme un billet pour assister à un match de foot. Elle se découvre en surmontant les résistances psychiques que le patient produit, de manière plus ou moins consciente. Or ces dernières sont notamment rendues apparentes par des stratégies oratoires dont le fonctionnement fait écho à celles définies par Aristote dans la Rhétorique. À la différence de ce que nous enseigne le Philosophe, il importe cependant de préciser ici – comme les exemples à venir nous le montreront -, que les catégories de l’éthos, du pathos et du logos ne constituent pas chez les patients des marqueurs distincts mais combinés dont leurs discours se servent à des fins tantôt défensives, tantôt libératrices.

Si l’alliance thérapeutique entre l’analyste et son patient repose – à l’instar de la définition de la métaphysique – sur la mise à jour de la vérité de l’être à partir de lui-même[8], cette découverte ne se produit jamais en l’absence du mouvement contraire que les résistances impriment au discours des patients. Le travail du psychanalyste consiste alors à déjouer certains procédés oratoires qu’ils produisent, non en y répondant par les mêmes moyens rhétoriques, mais en amenant leurs locuteurs à reconsidérer, lors de moments opportuns, la pertinence de leur argumentation par la mise à jour des intentions qui dans leurs discours traduisent leurs mécanismes de défense. L’analyste, au cours de telles phases du traitement, pratique une maïeutique inspirée de Socrate, là où le patient ferait usage de procédés rhétoriques analogues à ceux décrits par Aristote.

Il convient ainsi de différencier les phases de la cure au cours desquelles la parole des patients traduit la vérité – au sens de l’authenticité comme de la pertinence – de l’éthique qu’ils avancent, des émotions qu’ils convoquent ou de la raison dont ils se prévalent, de celles où se révèlent des procédés discursifs visant – généralement de manière inconsciente -, à entraver la progression de l’analyse. L’éthos, le pathos et le logos sont alors mis par le patient au service des bénéfices secondaires de sa maladie, c’est-à-dire des effets positifs de celle-ci ou de la satisfaction qu’il retire de ses symptômes. À la manière des poulpes qui crachent leur encre pour échapper à leurs prédateurs, les patients emploient alors ces moyens rhétoriques comme un leurre projeté en direction de l’analyste, un double, un hologramme ou un substitut d’eux-mêmes pour échapper à ce qu’ils craignent (à cet instant) de reconnaître en eux. Nous verrons cependant sous peu que c’est eux-mêmes en premier que ces procédés mystifient. C’est la forme et la fonction de ces mécanismes ainsi que leur traitement par la psychanalyse que je souhaite illustrer par quelques exemples cliniques.

Une importante précision s’impose cependant avant de les parcourir : les résistances sont un phénomène normal du fonctionnement psychique, renforcé par le contexte de la cure; elles reflètent et rendent apparent dans l’espace analytique le conflit psychique des patients. Il convient ainsi de les traiter avec tact et respect, comme des éléments précieux et fondateurs du travail, mieux, comme un indispensable allié de l’analyste dans le processus thérapeutique. C’est pourquoi celui-ci travaille toujours avec les résistances de ses patients et non contre elles, qu’il fait preuve en permanence d’une attitude bienveillante envers eux, même (voire surtout) quand il lui apparaît que ces derniers, à la manière des poulpes, lui crachent parfois leur encre au visage sous l’effet de leurs résistances. Outre par la pertinence des interprétations dégagées, c’est par l’élaboration des épisodes marquant un transfert négatif sur lui et par l’accompagnement de toutes les phases de la parole et des affects produits par ses patients que l’analyste les guide dans l’exploration de leurs conflits psychiques et à la découverte de leur inconscient.

Dans le seul but de garantir une continuité entre les illustrations cliniques qui vont suivre, j’ai choisi des exemples reflétant tous – sous l’angle de l’éthos, du pathos ou du logos – un même mouvement défensif organisé autour de l’idée de préserver l’amour[9] de l’enfant pour ses figures parentales, en déplaçant des pensées agressives leur étant inconsciemment adressées vers d’autres cibles. Limitant délibérément le propos à ce seul élément, aucune des illustrations cliniques à venir ne rend compte de la complexité psychique de chacun de ces patients, des dynamiques pulsionnelles qu’ils mettent en jeu, de leur articulation à d’autres enjeux ou problématiques, de leur éclairage spécifique par la structure psychopathologique dont ils relèvent, etc.

L’éthos et les poulpes.

Récemment, un patient que je suis depuis plusieurs années, manifestement troublé par ce qu’il venait de comprendre, m’a dit : « Je crois que j’ai été trop loin sur le chemin de la vertu. » Cette phrase traduit chez lui une importante prise de conscience : elle exprime l’idée que la morale stricte dont il faisait preuve depuis toujours était bâtie sur des fondations divergentes des buts (tout à fait respectables) qu’elle poursuit. Enfant, il attendait de sa mère un amour et une sécurité qu’elle ne lui procurait pas, tout au contraire. Il s’en était rendu compte très tôt, bien avant d’engager une psychanalyse. Plus encore, il avait réalisé que cette mère, loin d’incarner une autorité juste, aimante et rassurante, retirait une jouissance trouble, voire perverse de la souffrance des tiers proches, qu’elle dissimulait sous une posture victimaire. Ne pouvant être rassuré par une mère dont il constatait régulièrement les écarts à la morale – dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, jusque dans l’érotisation de ses propos et de ses comportements envers son fils -, il lui a fallu trouver en lui-même[10] l’espace de sécurité que son environnement parental – et plus particulièrement sa mère – lui refusait. Il s’était ainsi réfugié dans une morale laïque mais stricte tout en élaborant une stratégie de dissimulation pour se rendre aussi invisible que possible au regard de ses propres parents, à la manière des poulpes qui par leur couleur se fondent dans l’environnement marin, dissimulant la majeure partie de leurs corps dans les anfractuosités rocheuses au fond desquelles ils se tapissent. Au moment d’engager son analyse, cet homme avait rompu tout lien avec ses parents.

Le désir (et plus encore le plaisir) des tiers ayant été associés par lui dans ses années d’enfance à une absence de moralité exposant ceux qui en subissent les effets à un important danger (qu’il craignait au demeurant aussi de reproduire s’il donnait libre cours à ses propres désirs), faire preuve en toute circonstance d’une morale stricte était devenu pour lui un choix obligé, voire un impératif de survie : une posture éthique le rassurait intérieurement – en déplaçant sur le plan moral les attentes de sécurité initialement placées en sa mère – et le protégeait de son entourage familial en le différenciant de ses acteurs. Il se sentait de ce fait doublement protégé en n’étant pas comme ses parents, utilisant l’éthique comme une défense, un moyen de contrôle et d’autoconservation rassurant et protecteur.

Professionnel accompli dans son domaine, travailleur, diplômé, sérieux et attentif aux directives de ses supérieurs comme aux besoins de ses collaborateurs et de ses clients, il apparaissait néanmoins aux yeux de son entourage de travail comme une personnalité lisse, voire fuyante ou insuffisamment sociale. Par peur de paraître immodeste ou égoïste, il peinait à se mettre en avant, même quand certaines réussites lui incombaient directement. Plusieurs promotions ou augmentations lui avaient ainsi échappé, ce dont il ne manquait jamais de se plaindre.

Marié depuis des années, la rigidité surmoïque dont il faisait preuve était également devenue un problème au sein de son couple et de sa famille, tant envers sa femme qu’avec ses enfants (en particulier sa fille). Il avait autant le sentiment de brider ses envies personnelles, faisant toujours passer celles des autres avant les siennes…quand il ne les recadrait pas trop sévèrement… En reconnaissant qu’il avait « été trop loin sur le chemin de la vertu », il réalisait que la manifestation des désirs ou les revendications au plaisir exprimés par des femmes lui étant aujourd’hui proches, non seulement ne le mettent pas en danger mais qu’elles ne contreviennent pas davantage au principe général de l’éthique des personnes ou à celle de leurs rapports. Plus encore, il prenait conscience que l’expression de ses propres désirs – y compris sous leur jour pulsionnel – n’en faisait pas une mauvaise personne dont ses partenaires de vie devaient craindre les débordements ou l’immoralité. Un champ immense de liberté s’ouvrait subitement à lui, celui où l’éthique (le surmoi) ne s’oppose plus aux désirs et aux pulsions (le ça), et où leur dialectisation mène à des comportements mesurés et à la réalisation d’objectifs personnels et communs par une satisfaction légitime des désirs ne traduisant ni dangers ni transgression.

Cette prise de conscience a pris du temps à voir le jour. Il a préalablement fallu que cet homme fasse le deuil de la mère aimante et protectrice qu’il n’a pas connue autant que des peurs qu’il associait encore à celle véritable de son enfance, pour faire évoluer une éthique abstraite mais rigide en une éthique personnellement habitée, incarnée et articulée au plan du désir. Par son sens aigu de la morale il préservait inconsciemment l’idée de l’amour de sa mère pour lui autant qu’il se protégeait, de manière plus consciente, des effractions qu’il associe à cette dernière. Aussi longtemps qu’il était dominé par des peurs et des désirs dont il ne mesurait pas l’impact sur sa vie d’adulte il demeurait prisonnier d’une éthique qui à la manière d’une carapace trop lourde et trop massive l’empêchait d’avancer et de vivre de façon plus légère avec lui-même et ses pairs.

Au nom d’une éthique personnelle et du respect des valeurs collectives ou sociétales, le patient dont il sera à présent question exprime fréquemment son irritation (le terme est faible…) face à certaines figures politiques locales et nationales, aux femmes voilées et aux conducteurs ne respectant pas la vitesse limite autorisée (notamment sur autoroute). Ses arguments pourraient rencontrer une meilleure écoute s’ils ne traduisaient pas aussi des affects dont il peut être pensé qu’ils proviennent d’une autre source. Cet homme, qui a connu autour de la vingtaine un drame ayant coûté la vie à ses parents[11] se bat intérieurement pour préserver l’image positive et aimante qu’il a de ces derniers, plus particulièrement de son père. Or ce dernier, pour des motifs professionnels qui lui sont propres et ne concernent en rien son fils, avait produit un acte dont les conséquences ont lourdement et durablement impacté celui-ci, alors déjà fragile psychologiquement. Peinant à identifier l’origine de ce qui le met en souffrance, le patient en déplace l’explication sur un ensemble de tiers dont il pense qu’ils ne prennent pas soin de lui, voire traduisent pour lui une menace externe : les politiques locaux (dont d’autres représentants étaient jadis impliqués dans les déboires et les actions de son père en ayant découlé), jugés incompétents, prisonniers de leurs idéaux et déconnectés de la vie de leurs administrés, les Musulmans donnant une forme publique à leur foi (le patient lui-même étant athée) ou les conducteurs indélicats qui font courir aux autres (et donc aussi à lui) un risque dont il ne devraient pas avoir à subir les conséquences… Oubli du soin protecteur ou du devoir de protection, enfermement jusqu’au-boutiste dans des convictions, effraction traumatique, chaque point pourrait s’appliquer à son père.

Commerçant honnête[12], citoyen, judiciable et contribuable exemplaire, il avance sous l’égide de principes qu’il s’attend également à trouver chez les autres (État, citoyens, communautés, confrères, voisins, clients, etc.). Il en éprouve fréquemment une désillusion amère. Derrière ses appels au respect d’une morale publique partagée s’entend : je leur faisais confiance ; ils n’avaient pas le droit de (me) faire cela. De qui parle-t-il au fond ? Son sens moral et ses valeurs recouvrent et contiennent un vif sentiment de colère inconsciente envers son père – diamétralement opposé aux souvenirs de vie positifs qu’il en garde et entend protéger – générant des pensées hétéro-agressives et des agirs auto-agressifs sans liens avec des enjeux éthiques liés à l’espace public.

L’éthos parfois mystifie les poulpes qui se pensent protégés par lui.

Le pathos et les poulpes.

Cet autre patient – un scientifique brillant occupant des fonctions importantes dans une compagnie internationale – se désole fréquemment et avec emphase du déclin de la spiritualité dans le monde occidental. Son discours, dans les grandes largeurs, se déploie dans les registres de la plainte et de la désolation. Catholique pratiquant, il affiche son soutien à toutes les religions, chrétiennes ou non, monothéistes ou non, car toutes présentent à ses yeux l’avantage de défendre une vision des hommes et du monde sous l’égide d’une réalité supra-sensible. Une lecture partagée du monde subordonnée aux principes religieux prime pour lui sur les différences d’opinions pouvant exister entre les mortels. À titre d’exemple, politiquement ancré à droite, ce Français voue une admiration à François Mitterrand après l’avoir entendu dire, lors de ses derniers vœux en 1994 : « je crois aux forces de l’esprit. Je ne vous quitterai pas ».

Sans surprise, cet homme tient sa Foi de ses parents lesquels l’avaient très rapidement mis sur le chemin de la catéchèse. Enfant déjà, la Messe et la célébration des Fêtes religieuses lui procuraient une joie intense, mystique. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Parallèlement à cet aspect, son enfance avait aussi été marquée par les disputes à répétition au sein du couple parental. Ses parents – des gens simples n’ayant pas fait d’études – ont d’ailleurs fini par divorcer[13] alors qu’il avait 11 ans. Comme de nombreux enfants en pareilles circonstances, il s’était inconsciemment senti responsable des conflits entre eux et de la séparation qui en a résulté. Il en a d’autant plus souffert qu’il aimait chacun de ses parents, alors que ceux-ci s’abreuvaient mutuellement de reproches et manifestaient entre eux passablement de violence (verbale, mais aussi physique). Du fait de leurs conflits, il s’était senti abandonné par eux, comme s’ils mettaient leur énergie à se faire mutuellement souffrir plutôt qu’à prendre soin de lui. Paradoxalement, il les voyait pourtant aussi comme des victimes qu’il serait injuste d’accabler. Souvent, il répétait la phrase : « s’ils avaient été plus instruits, ils auraient été plus sages ». Il avait traversé au cours de cette période de turbulence une phase dépressive (passée inaperçue) accompagnée d’un sentiment fort de désenchantement du monde.

Aujourd’hui encore, il regrette l’incapacité dont ont fait preuve ses parents à surmonter leurs différences et y rattache sans peine les difficultés qu’il croise dans sa vie d’adulte, notamment face à des situations conflictuelles. Toutes lui font peur et il s’emploie toujours à les résoudre, même quand elles ne l’exposent ou ne le concernent pas au premier plan. La science autant que la religion lui sont d’un grand recours dans ce but, chacune permettant de trouver du sens et une issue aux phénomènes, d’agir sur eux depuis un modèle global et rassurant : la religion participant par l’amour à l’enchantement bienveillant du monde ; la science à sa maîtrise par la compréhension des phénomènes concrets. Cet homme passe aux yeux de son entourage pour une personne pragmatique et de bon sens, capable d’écouter et de résoudre des problèmes, mais garde au fond de lui intacte une souffrance vive qu’activent les situations conflictuelles qu’il observe à l’échelle de sa vie propre ou sur celle de la planète. Il parle avec une souffrance égale, mais sans colère, d’un monde qu’il voit s’éloigner de Dieu et de celle personnelle héritée de son histoire d’enfant, mais n’associe jamais les deux. Pourquoi ?

Pour maintenir l’équilibre de son monde, cet homme m’a expliqué avoir mentalement établi une double distinction au cours de son adolescence : 1) celle entre la part humaine (sic.) de ses parents et leur part divine ou spirituelle (sic.), la première étant responsable des souffrances qu’ils ont connues et générées, la seconde étant associée au réconfort que le monde spirituel lui procure, et 2) celle entre les personnes scientifiquement instruites et les autres, lui permettant de penser qu’il avait simplement eu plus de chance que ses parents en bénéficiant d’une telle éducation.

Il parvient par ce double clivage à maintenir une forme de filiation, de loyauté et d’amour envers ses parents : certes ils se sont déchirés et l’ont fait souffrir, mais uniquement sous l’emprise de leur « part humaine » et du fait de leur ignorance ; mais leur idéal religieux – qu’il leur doit et qu’il partage – les réunit « éternellement » au-delà des séparations et du passé douloureux de leurs relations. Les « mauvais parents » sont ainsi projetés vers l’extérieur, identifiés aux divers fauteurs de troubles dans le monde; quant aux « bons », ils vivent dans son espace psychique (inconscient) et dans l’univers de la religion et de l’idéal scientifique.

Sous l’effet des pouvoirs convergents de ces deux forces, il échappe à la crainte de l’abandon – en référence aussi à la phrase de Mitterrand –, même sous l’effet de la mort ou des pulsions qui selon Freud[14] en traduisent la manifestation en chacun.

Suffisamment informé du mode de pensée psychanalytique, il ne manque jamais de me rappeler qu’une psychologisation des affects et des représentations ne saurait être exhaustive. D’ailleurs la psychanalyse est-elle vraiment une science ? Peut-elle tout expliquer ? La théorie de l’inconscient empêche-t-elle de croire en Dieu ? Etc.

Ses arguments, au fond pertinents, recouvrent un fantasme et une souffrance indépendants des facteurs qu’il met en avant : dans un monde meilleur se déployant sous l’autorité de la raison (par la science) et de la Foi, ses parents auraient moins souffert et l’auraient moins fait souffrir. Ils auraient en somme été capables de lui prodiguer – enfant – l’amour, l’attention et les soins dont adulte il déplore avec insistance l’absence dans le monde, en déplaçant la raison sur des paramètres externes. Combattre l’idée d’un monde sans science et sans Dieu équivaut (aussi) pour lui à préserver, en tant que fantasme, l’amour pour ses parents autant que celui de ses parents pour lui, à mener un combat avec eux et non contre eux, déplaçant projectivement sur un futur possible[15] l’espoir de réparer un passé (propre et familial) douloureux.

Le pathos, parfois, libère une encre sombre dans le but de créer un espace de repli et de consolation pour ceux qui la produisent.

Le logos et les poulpes.

L’homme dont il sera ici question se caractérise par ses vastes connaissances et sa très grande intelligence, lesquelles lui ont ouvert les portes d’une vie professionnelle féconde, intense, riche et diversifiée. C’est dans sa sphère privée, et notamment dans ses couples successifs, que les choses se passent mal pour lui.

Souvent il cherchait à obtenir mon approbation sur les carences de raisonnement qu’il observait chez sa femme, comme sur le caractère improbable des actions qu’elle initie ou sur les attitudes arbitrairement autoritaires qui les accompagnent. Douce et compréhensive au début du mariage, cette femme se serait progressivement transformée dans son contraire. Si le discours et les faits que le patient relate semblent lui donner raison, ils n’expliquent pas les motifs de la métamorphose de sa femme ni n’apportent de réponses à d’autres questions qui concernent cet homme au premier plan. Plus précisément, la démonstration rigoureuse qu’il avance sur la base de ses exemples est surtout un moyen pour produire une diversion – comme l’encre des céphalopodes – afin d’occulter les raisons l’ayant conduit à placer dans sa vie une femme dont aujourd’hui il dénonce avec tant de vigueur et une argumentation imparable les dysfonctions liées à son caractère et à sa manière de penser. Ses reproches envers elle lui servent également à justifier son manque d’engagement[16] dans le couple.

Autre paradoxe : les larmes de sa femme (elle en verse autant qu’elle éprouve de colère pour son mari qu’elle affirme par ailleurs toujours aimer) le bouleversent toujours et le mènent à adopter une attitude plus douce envers elle … jusqu’à ce qu’il s’en éloigne de nouveau pour les motifs évoqués.

Il est rapidement ressorti des souvenirs du patient que du temps de son enfance, sa mère – morte depuis des années et dont l’évocation, avant le début de son analyse, s’apparentait pour lui à l’idée d’un paradis perdu – était en réalité une femme d’intelligence limitée, régulièrement inadéquate dans ses pensées et ses agissements envers son fils. Avec le recul, le patient reconnaît dans ces situations une violence symbolique et arbitraire qu’il associe immédiatement aux traits de personnalité qu’il dénonce chez sa femme.

Cette mère avait par ailleurs subi la violence régulière de son mari (le père du patient). Enfant, il avait assisté à de nombreuses scènes de cet ordre. Il en avait conçu une détestation pour son père (auquel il ne voulait surtout pas ressembler plus tard) et un élan empathique et protecteur à l’égard de sa mère.

En épousant une femme présentant d’aussi troublantes ressemblances avec sa mère (les deux femmes avaient d’ailleurs grandi dans le même quartier), le patient faisait revivre – pour un temps limité… – le fantasme de la mère aimante susceptible de le rassurer et de lui fournir du soin, mais se retrouvait dans les faits – et pour l’avoir elle aussi fait renaître ! – face à celle qui jadis loin d’incarner pour lui le réconfort et le lien ne le comprenait pas, ne dégageait pas de temps pour lui, prenait de mauvaises décisions le concernant et lui donnait envie de la fuir. Même sans battre physiquement sa femme, cet homme la traitait aussi durement que son père le faisait de la sienne.

Prisonnier de l’angle mort de son intelligence, aucune rhétorique se réclamant du logos ne peut l’en libérer. Pour cela, il lui faut produire un changement paradigmatique lui permettant de réfléchir autrement, en établissant une distinction suffisante entre les attentes (au sens courant et fantasmé) d’un enfant envers sa mère de celles d’un homme envers une femme. En quittant la verticalité des rapports qui lui est familière depuis ses jeunes années – et que lui-même d’ailleurs reproduit sur plusieurs plans – il accéderait à une horizontalité relationnelle entre partenaires égaux et complémentaires, susceptibles de construire l’un avec l’autre un avenir commun. Il cesserait alors de rechercher ce qu’il craint (ou de fuir ce qu’il recherche) pour accéder au bonheur de couple auquel au fond il aspire.

Le logos, parfois, obscurcit ce qu’il n’éclaire pas.

De quels moyens la psychanalyse dispose-t-elle alors pour déjouer au mieux ces divers mécanismes de défense ? Le plus efficace, à mon sens, demeure celui dont Freud avait en premier deviné tout le potentiel : le rêve.

L’intuition fondamentale et fondatrice du sens des rêves pour la psychanalyse comprend en effet, outre ses enjeux méthodologiques et théoriques, un aspect radicalement philosophique[17] portant sur la question de la vérité puisque Freud voit dans les manifestations oniriques un moyen d’accès privilégié à cette dernière, fondé sur l’idée que les rêves constituent eux-mêmes l’expression privilégiée des vérités inconscientes de leurs producteurs. Comme nous l’avons vu, la parole des patients, au moment d’exposer leurs pensées, sous l’effet également de la rhétorique qu’ils y déploient, est souvent parcourue par les mécanismes de défense qui s’y expriment. Freud n’affirme évidemment pas que les rêves ne traduisent pas des mouvements défensifs ; tout au contraire, ils mettent en forme de manière condensée – nucléaire, pourrait-on dire – leurs conflits psychiques. Je relèverai cependant deux points qui distinguent l’énoncé des rêves[18] des propos que les patients produisent à d’autres moments cliniques : 1) Les rêves n’emploient pas de procédés rhétoriques car 2) ces derniers sont désamorcés (et remplacés) par l’apparente absurdité qui en recouvre le sens. Le voile de l’absurde, naturellement fourni par le rêve lui-même, protège en somme[19] la vérité dont il est le témoin du voile rhétorique et de ses habituels marqueurs discursifs (à valeur défensive). Se présentant à la manière de faits bruts – comme une pierre se définirait avec évidence par sa vérité minérale factuelle – les rêves constituent en réalité, comme la psychanalyse nous l’enseigne, une porte d’entrée privilégiée donnant sur la vérité intime du rêveur. C’est également parce qu’ils donnent l’impression de ne s’adresser à aucun public ou aucun interlocuteur précis que les rêves traduisent une logique du conflit inconscient échappant à la censure et aux élans rhétoriques auxquels elle conduit. Les rêves ne parlent pas, ne dissimulent pas mais signifient…La vérité de l’inconscient que Freud cherche par la psychanalyse ne rejoindrait-elle alors pas, par son chemin propre, celle que Héraclite prêtait au dieu Apollon… ?

Du fait de leur apparence absurde[20], les rêves produisent en effet une mise en lien concrète mais inhabituelle d’éléments a priori épars ou dissociés, échappant à la censure du patient. En prenant, lors de moments opportuns, appui sur les correspondances paradoxales qu’ils établissent, il devient possible de rendre conscients des mouvements psychiques plus inconscients du patient avec l’appui de ce dernier, de contourner avec lui ses mécanismes défensifs sur un plan plus indirect et moins confrontant.

En voici, pour conclure, une illustration choisie autour de la même thématique que celle ayant servi aux exemples précédents.

C’est le rêve d’une jeune femme : elle donne naissance à une fille dans un hôpital. Face à la table d’accouchement, derrière un mur en verre, se tiennent sa mère et sa grand-mère maternelle. Une fois l’accouchement terminé, la patiente va les rejoindre pour leur présenter l’enfant. Elle a, dans son rêve, la conscience de vouloir à cet instant inscrire sa fille dans la continuité générationnelle reliant ces femmes. Sa mère et sa grand-mère ne forment alors plus qu’une seule personne. La patiente lui remet le nouveau-né entre les bras. Elle note que la bouche de cette personne est étrangement fermée. Aussitôt, elle est prise d’un sentiment d’extrême danger pour sa fille. Elle reprend alors son enfant à cette femme, se jette sur elle, l’empoigne par les cheveux et lui fracasse la tête au sol jusqu’à ce qu’elle en meure… Fin du rêve.

Aucune rhétorique ; juste des « faits ». C’est brutal et c’est sanglant, d’autant plus quand on sait que dans la vie cette jeune femme – au demeurant courtoise et réservée – pratique un sport[21] qui lui a permis de développer une musculature impressionnante…

Voici à présent ses associations. Elle note d’abord l’absence de toute figure masculine dans le rêve. Dans la réalité, cette femme n’a pas (encore) d’enfant mais c’est un projet qui fait sens pour elle. Sa mère, à l’inverse de son père, a toujours représenté pour elle une figure stable et rassurante. Elle a pu compter sur elle dans le passé et sait aujourd’hui encore pouvoir le faire. Il ne fait aucun doute qu’elle l’aime. Elle ne lui veut certainement aucun mal.

Elle note alors le détail de la bouche qu’elle commente ainsi[22] : « dans la réalité, c’était souvent l’inverse ; ma mère a toujours trop parlé, notamment en partageant avec ses enfants des pans de sa vie intime ou ses soucis propres, comme ses problèmes avec notre père ». La patiente a vécu ces moments avec effroi et inconfort ; ils lui procuraient de l’insécurité, mais elle ne pouvait en endiguer les effets par sentiment de loyauté envers sa mère. Elle aurait pourtant voulu la faire taire lors de tels instants (dans le rêve, lui fermer la bouche…la tuer…).

Sa mère – et par extension, le féminin en général – représente ainsi pour elle une figure ambivalente, protectrice et soutenante mais aussi génératrice d’angoisses, également parce que petite, elle ressentait la fragilité de sa mère. À la première de ces figures féminines, elle souhaite apporter son enfant pour l’inscrire – à la manière des « poupées russes » – dans une filiation transgénérationnelle ; de la seconde elle cherche à protéger sa fille en produisant, de la manière la plus radicale, une rupture, une discontinuité, avec elle. Elle ajoute : « si maman n’avait pas fait des enfants avec cet homme, nous (la mère et les filles) n’aurions pas eu à souffrir de lui». La mère porterait donc également une part de responsabilité dans les souffrances de son enfant en lui ayant imposé ce père absent et désinvesti (dans le rêve, l’absence de toute figure masculine ou paternelle depuis la salle d’accouchement, comme si les femmes faisaient des enfants seules).

Ce rêve n’a suscité que quelques questions de ma part et pour ainsi dire pas d’interventions. Il suffisait de laisser les associations libres suivre leur cours. Elles ont directement conduit la patiente en des eaux profondes, à la rencontre de pensées et d’affects puissants et vrais dont la prise de conscience s’accompagne de celle de la différence de plans entre les pensées conscientes et inconscientes. Le tableau d’ensemble auquel elle est parvenue lui permet d’échapper à l’emprise des secondes, non en les réfutant mais au contraire en les intégrant à sa compréhension des questions qu’il soulève. Rendues conscientes, de telles représentations perdent de leur pouvoir terrifiant ; elles ne nécessitent plus de mécanismes de défense élaborés pour les contenir.

Quand ils n’éprouvent pas un sentiment imminent de danger (interne et externe), les poulpes nagent parfois dans des eaux dont ils ne ressentent pas le besoin d’assombrir la transparence par leur encre.


Sulla retorica e sui polpi: strategie di persuasione e meccanismi di difesa nel discorso dei pazienti psicoanalitici.

di Thémélis Diamantis

Jetant son encre vers les cieux / Suçant le sang de ceux qu’il aime / Et le trouvant délicieux, / Ce monstre inhumain, c’est moi-même. (Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée, 1911).

Il vaut mieux que les enfants rougissent des parents que les parents des enfants (Raymond Queneau, Le Chiendent, 1933)

Le dieu, dont l’oracle est à Delphes, ne parle pas, ne dissimule pas : il signifie. (Héraclite, Fragments, 54.)

Mi piacciono molto i documentari sugli animali: mi affascina il modo in cui le specie in natura sviluppano strategie per sfuggire ai predatori o all’attenzione delle prede. Dai miei studi filosofici ho conservato intatta l’ammirazione per il rigore del pensiero aristotelico. Come psicoanalista, penso sempre all’interno dei confini della mia disciplina. Questo articolo si colloca all’intersezione di tutti e tre.

Nella Retorica (c. 329–323 a.C.), Aristotele distingue tre tipi di discorso argomentativo in base al pubblico a cui sono rivolti: discorso deliberativo (che si rivolge ai politici per invitarli all’azione), discorso giudiziario (prodotto per i giudici, in termini di difesa o accusa) e discorso epidittico (per dimostrare la moralità – o la mancanza di moralità – di un individuo). L’oratore, da parte sua, esercita la sua arte della persuasione secondo Aristotele utilizzando tre marcatori discorsivi: ethos, pathos e logos.

L’ethos (ἦθος) corrisponde all’immagine di sé che l’oratore cerca di promuovere nel suo pubblico, rispettando il principio secondo cui le virtù più grandi sono necessariamente quelle più utili agli altri (Retorica, 1366a. 6). L’ethos deve essere riconosciuto tanto nel contenuto delle proposizioni proposte quanto nella forma che esse assumono (il tono di voce umile, il peso delle osservazioni, l’atteggiamento corporeo del parlante, ecc.). L’ethos agisce come una firma morale dell’oratore, un segno del suo carattere, che deve incarnare una forma di credibilità attraverso l’integrità o la virtù dell’oratore per guadagnarsi la fiducia di coloro ai quali si rivolge.

Il pathos (πάθος) è un mezzo di argomentazione volto ad agire sulle emozioni del pubblico. Per riprendere alcune delle distinzioni tra ethos e pathos formulate da Christian Plantin nel suo Dictionnaire de l’argumentation, l’uso dell’ethos mira a conquistare il pubblico, a persuaderlo, a ottenere la sua empatia e a portargli soddisfazione morale, mentre il pathos – sollecitando nel pubblico affetti come paura, rabbia, pietà, invidia, vergogna, odio, ecc. – cerca di strappargli l’approvazione esercitando su di lui un’influenza retorica che lo turba (lo rende persino violento) e al tempo stesso gli fornisce soddisfazione estetica (in contrapposizione a quella morale).

Quanto al logos (λόγος), sulla scia di Eraclito che ne fece una qualità universalmente diffusa tra gli uomini, per Aristotele esso traduce la ragione che lega gli individui, nel senso di argomentazione razionale la cui pertinenza è suscettibile di essere riconosciuta dal pubblico, accanto alla credibilità morale dell’oratore (ethos) o ai sentimenti che il suo discorso suscita nell’uditorio (pathos). Per Aristotele, un buon oratore deve saper gestire tutti e tre, a seconda del contesto, dei suoi obiettivi e delle sue capacità personali.

Che abbia finalità deliberative, giudiziarie o epidittiche, è sottinteso che per Aristotele l’eloquenza oratoria si esercita nello spazio pubblico. Sembrerebbe quindi abusivo applicare in quanto tali i marcatori discorsivi di ethos, pathos e logos a scambi che avvengono in un contesto in cui il discorso si svolge in modo intimo tra due persone.

A ben vedere, però, il discorso che i pazienti pronunciano sul lettino davanti al loro analista non è privo di una forma di retorica, che riprende anch’essa i caratteri individuati da Aristotele, in particolare nei numerosi meccanismi di difesa – le loro resistenze, si dice sul piano clinico – sempre messi in gioco anche dai loro discorsi. Ma è proprio sul terreno della resistenza, ci insegna Freud, che le guarigioni in psicoanalisi si vincono o falliscono.

Desiderosi di essere ascoltati dal loro psicoanalista nelle loro sofferenze e nei loro pensieri, spesso i pazienti cercano anche di convincerlo della rilevanza di questi. Producono quindi per lui un argomento dal contenuto retorico, anche se le loro parole sono rivolte, nella riservatezza del quadro analitico, a un singolo individuo e non a un’assemblea pubblica. È davvero sorprendente riscontrare tali sfoghi oratori tra i pazienti? Lo psicoanalista è forse un interlocutore la cui presenza si colloca solo nella sfera intima?

Spazio di intimità attraverso la forma e il contenuto delle sue sedute, la psicoanalisi è anche una professione e i suoi rappresentanti sono professionisti che svolgono una funzione pubblicamente identificata. Come ricorda opportunamente Paul Ricoeur in De l’interprétation: Essai sur Freud (1965), un buon numero di psicoanalisti – Freud in primis – attraverso i loro scritti, le loro conferenze, il loro insegnamento, ecc. – produrre o far produrre un discorso nello spazio collettivo, vale a dire a beneficio di un pubblico o di un uditorio superiore a quello della propria base di pazienti o della propria comunità professionale. In questo modo aprono al pubblico il campo della loro conoscenza e il dibattito che la circonda. Il discorso che i pazienti rivolgono agli psicoanalisti è dunque sorretto solo da codici intimi, come quelli che caratterizzano, ad esempio, gli scambi tra due coniugi, tra genitori e figli o tra amici? La conoscenza, a volte molto approfondita, degli elementi di teoria e di metodo dimostrati da molti pazienti non contribuisce forse anche alla natura degli scambi con i loro analisti? Non è forse questo il motivo per cui spesso glielo chiedono? Si noti che la neutralità degli psicoanalisti può anche essere facilmente vista come un deliberato marcatore del confine tra questi due campi; Ci ricorda, come parte del quadro, che le sedute costituiscono un luogo di lavoro (sia professionale che psicologico) e non un semplice scambio di osservazioni confidenziali tra due persone. Anche se è ovvio che il trattamento incoraggia i pazienti a esprimere le proprie opinioni personali, essi sanno anche che il loro analista non è, nel senso comune del termine, uno degli attori della loro sfera privata. Incontrano quest’ultimo nel suo ufficio; lo pagano, si aspettano un servizio da esso, ecc. Si rivolgono sempre a lui nel contesto dei suoi doveri e della sua professione. La loro richiesta, tutto sommato, rientra quindi anche in un registro transazionale paragonabile nella sua forma a quella di un cliente che si reca, ad esempio, in una panetteria per acquistare una baguette o di un tifoso di calcio che si reca allo stadio per vedere una partita. In un panificio trovi il pane e in uno stadio trovi il calcio. Ma cosa si trova nello studio di uno psicoanalista? Scopriamo, attraverso il linguaggio e le relazioni intersoggettive, il punto cieco della sua percezione del mondo. Ma questa conoscenza non si acquisisce come una baguette o un biglietto per una partita di calcio. Si scopre superando le resistenze psicologiche che il paziente produce, più o meno consapevolmente. Questi ultimi sono resi evidenti in particolare dalle strategie oratorie il cui funzionamento riecheggia quelle definite da Aristotele nella Retorica. Contrariamente a quanto ci insegna il Filosofo, è importante chiarire qui – come ci mostreranno gli esempi che seguono – che le categorie di ethos, pathos e logos non costituiscono per i pazienti marcatori distinti, ma combinati, che i loro discorsi utilizzano per scopi a volte difensivi, a volte liberatori.

Se l’alleanza terapeutica tra analista e paziente si fonda – come la definizione della metafisica – sull’attualizzazione della verità dell’essere a partire da sé, questa scoperta non avviene mai in assenza del movimento contrario che le resistenze imprimono al discorso del paziente. Il lavoro dello psicoanalista consiste quindi nel contrastare certi processi oratori che essi producono, non rispondendo ad essi con gli stessi mezzi retorici, ma inducendo i loro interlocutori a riconsiderare, nei momenti opportuni, la pertinenza del loro argomento, aggiornando le intenzioni che nei loro discorsi traducono i loro meccanismi di difesa. L’analista, durante tali fasi del trattamento, pratica una maieutica di ispirazione socratica, in cui il paziente utilizzerebbe procedimenti retorici analoghi a quelli descritti da Aristotele.

È quindi opportuno distinguere le fasi del trattamento in cui le parole dei pazienti traducono la verità – nel senso sia dell’autenticità che della pertinenza – dell’etica che propongono, delle emozioni che evocano o della ragione che rivendicano, da quelle in cui si palesano processi discorsivi che mirano – generalmente inconsciamente – a ostacolare il progresso dell’analisi. Ethos, pathos e logos vengono quindi messi dal paziente al servizio dei benefici secondari della sua malattia, cioè degli effetti positivi di essa o della soddisfazione che trae dai suoi sintomi. Come i polipi che sputano l’inchiostro per sfuggire ai predatori, i pazienti utilizzano poi questi espedienti retorici come escamotage proiettato verso l’analista, un doppio, un ologramma o un sostituto di sé stessi per sfuggire a ciò che temono (in quel momento) di riconoscere in se stessi. Tuttavia, vedremo tra poco che sono proprio loro stessi a confondere per primi. È la forma e la funzione di questi meccanismi, nonché il loro trattamento da parte della psicoanalisi, che desidero illustrare con alcuni esempi clinici.

Prima di esaminarli, è però necessaria una precisazione importante: la resistenza è un fenomeno normale del funzionamento psicologico, rafforzato dal contesto del trattamento; Riflettono e rendono evidente nello spazio analitico il conflitto psichico dei pazienti. È opportuno quindi trattarli con tatto e rispetto, come elementi preziosi e fondanti del lavoro, anzi, come un alleato indispensabile dell’analista nel processo terapeutico. Ecco perché lavora sempre con le resistenze dei suoi pazienti e non contro di loro, e dimostra costantemente un atteggiamento benevolo nei loro confronti, anche (o addirittura soprattutto) quando gli sembra che loro, come polipi, a volte gli sputino l’inchiostro in faccia sotto l’effetto delle loro resistenze. Oltre alla pertinenza delle interpretazioni prodotte, è sviluppando episodi che segnano un transfert negativo su di lui e accompagnando tutte le fasi del discorso e degli affetti prodotti dai suoi pazienti che l’analista li guida nell’esplorazione dei loro conflitti psichici e nella scoperta del loro inconscio.

Al solo scopo di garantire continuità tra le illustrazioni cliniche che seguono, ho scelto esempi che riflettono tutti – dal punto di vista dell’ethos, del pathos o del logos – lo stesso movimento difensivo organizzato attorno all’idea di preservare l’amore del bambino per le sue figure genitoriali, spostando i pensieri aggressivi inconsciamente rivolti a loro verso altri bersagli. Limitando deliberatamente la discussione a questo singolo elemento, nessuna delle illustrazioni cliniche che seguiranno prenderà in considerazione la complessità psicologica di ciascuno di questi pazienti, le dinamiche pulsionali che mettono in gioco, la loro articolazione con altre questioni o problemi, la loro illuminazione specifica da parte della struttura psicopatologica a cui si relazionano, ecc.

Ethos e polpi.

Di recente, un paziente che seguo da diversi anni, visibilmente turbato da quanto aveva appena compreso, mi ha detto: “Penso di essermi spinto troppo oltre sulla via della virtù.”Questa frase riflette in lui una consapevolezza importante: esprime l’idea che la rigida moralità da lui sempre dimostrata si fondava su fondamenti divergenti dagli obiettivi (del tutto rispettabili) che essa perseguiva. Da bambino si aspettava amore e sicurezza dalla madre, che però non glieli dava, anzi. Se ne rese conto molto presto, ben prima di iniziare la psicoanalisi. Inoltre, si era reso conto che questa madre, lungi dall’incarnare un’autorità giusta, amorevole e rassicurante, traeva un piacere tormentato, persino perverso, dalla sofferenza di terzi vicini, che nascondeva dietro un atteggiamento vittimistico. Incapace di farsi rassicurare da una madre di cui osservava regolarmente le deviazioni morali – in molte situazioni quotidiane, perfino nell’erotizzazione delle sue parole e del suo comportamento nei confronti del figlio –, dovette trovare dentro di sé quello spazio di sicurezza che il suo ambiente genitoriale – e più in particolare sua madre – gli negava. Si era così rifugiato in una morale laica ma rigorosa, sviluppando al contempo una strategia di occultamento per rendersi il più possibile invisibile ai propri genitori, alla maniera dei polpi che, attraverso il loro colore, si mimetizzano con l’ambiente marino, nascondendo la maggior parte del loro corpo nelle fessure rocciose sul fondo delle quali si nascondono. Al momento dell’analisi, quest’uomo aveva reciso ogni legame con i genitori.

Il desiderio (e ancor più il piacere) di terzi, da lui associato fin dall’infanzia a un’assenza di moralità che esponeva chi ne subiva gli effetti a un pericolo significativo (che temeva anche di riprodurre se avesse dato libero sfogo ai propri desideri), dimostrando in ogni circostanza una moralità rigorosa, era diventato per lui una scelta obbligata, anzi un imperativo di sopravvivenza: un atteggiamento etico lo rassicurava interiormente – spostando sul piano morale le aspettative di sicurezza inizialmente riposte nella madre – e lo proteggeva dalla cerchia familiare, differenziandolo dai suoi attori. Si sentiva quindi doppiamente protetto dal fatto di non essere come i suoi genitori, usando l’etica come difesa, come mezzo rassicurante e protettivo di controllo e autoconservazione.

Professionista affermato nel suo campo, laborioso, qualificato, serio e attento alle istruzioni dei superiori e alle esigenze dei colleghi e dei clienti, appariva tuttavia a chi lo circondava sul lavoro come una personalità insipida, persino sfuggente o poco socievole. Per paura di apparire immodesto o egoista, si sforzò di farsi notare, anche quando certi successi erano frutto diretto suo. In questo modo gli erano sfuggite diverse promozioni o aumenti di stipendio, cosa di cui non mancava mai di lamentarsi.

Sposato da anni, la rigidità del Super-Io da lui manifestata era diventata un problema anche all’interno della sua coppia e della sua famiglia, sia nei confronti della moglie che dei figli (in particolare della figlia). Sentiva anche di frenare i suoi desideri personali, anteponendo sempre quelli degli altri ai propri… quando non li metteva al loro posto in modo troppo severo… Riconoscendo di essere “andato troppo oltre sulla via della virtù”, si rese conto che la manifestazione dei desideri o le richieste di piacere espresse dalle donne che ora gli erano vicine, non solo non lo mettevano in pericolo, ma non contravvenivano al principio generale dell’etica delle persone o a quello delle loro relazioni. Inoltre, divenne consapevole che l’espressione dei propri desideri, anche nella loro forma impulsiva, non lo rendeva una persona cattiva, i cui eccessi o la cui immoralità i suoi compagni di vita avrebbero dovuto temere. All’improvviso si aprì davanti a lui un immenso campo di libertà, in cui l’etica (il Super-Io) non si contrapponeva più ai desideri e agli impulsi (l’Es), e la loro dialettica conduceva a comportamenti misurati e al raggiungimento di obiettivi personali e comuni attraverso una legittima soddisfazione dei desideri che non si traduceva in pericolo o trasgressione.

Ci è voluto molto tempo perché questa consapevolezza emergesse. Quest’uomo ha dovuto prima elaborare il lutto per la madre amorevole e protettiva che non ha mai conosciuto, così come per le paure che ancora associava a quella vera della sua infanzia, per poi trasformare un’etica astratta ma rigida in un’etica personalmente vissuta, incarnata e articolata a livello del desiderio. Attraverso il suo acuto senso della moralità, egli preservava inconsciamente l’idea dell’amore della madre nei suoi confronti, tanto quanto si proteggeva, in modo più consapevole, dalle violazioni che associava a lei. Finché fu dominato da paure e desideri il cui impatto sulla sua vita adulta non riusciva a misurare, rimase prigioniero di un’etica che, come un guscio troppo pesante e troppo massiccio, gli impedì di andare avanti e di vivere con più leggerezza con se stesso e i suoi simili.

In nome dell’etica personale e del rispetto dei valori collettivi o sociali, il paziente in questione esprime spesso la sua irritazione (per usare un eufemismo…) nei confronti di alcune personalità politiche locali e nazionali, delle donne velate e degli automobilisti che non rispettano i limiti di velocità autorizzati (in particolare in autostrada). Le sue argomentazioni potrebbero essere più facilmente ascoltate se non riflettessero anche sentimenti che potrebbero essere ritenuti provenienti da un’altra fonte. Quest’uomo, che quando aveva vent’anni ha vissuto una tragedia che è costata la vita ai genitori, sta lottando interiormente per preservare l’immagine positiva e amorevole che ha di loro, in particolare di suo padre. Quest’ultimo, però, per motivi professionali personali ed estranei al figlio, aveva commesso un atto le cui conseguenze avevano avuto un impatto pesante e duraturo su di lui, già allora psicologicamente fragile. Nel tentativo di identificare l’origine di ciò che gli sta causando sofferenza, il paziente sposta la spiegazione su un gruppo di terze parti che ritiene non si prendano cura di lui o che rappresentino addirittura una minaccia esterna per lui: politici locali (altri rappresentanti dei quali erano stati coinvolti nei fallimenti del padre e nelle azioni che ne sono derivate), giudicati incompetenti, prigionieri dei loro ideali e scollegati dalla vita dei loro elettori, musulmani che danno una forma pubblica alla loro fede (il paziente stesso è ateo) o conducenti disonesti che mettono a rischio gli altri (e quindi anche lui) e di cui non dovrebbero subire le conseguenze… Dimenticare l’assistenza protettiva o il dovere di proteggere, essere chiusi nelle proprie convinzioni fino alla fine, effrazioni traumatiche, ogni punto potrebbe applicarsi al padre.

Commerciante onesto, cittadino responsabile, persona giudiziosa e contribuente esemplare, egli procede nel rispetto di principi che si aspetta di trovare anche negli altri (Stato, cittadini, comunità, colleghi, vicini, clienti, ecc.). Spesso prova una amara disillusione. Dietro i suoi appelli al rispetto di una moralità pubblica condivisa si sente: mi sono fidato di loro; non avevano alcun diritto di farmi questo. Di chi sta parlando veramente? Il suo senso morale e i suoi valori nascondono e contengono un forte sentimento di rabbia inconscia nei confronti del padre – diametralmente opposto ai ricordi di vita positivi che conserva di lui e che intende proteggere – generando pensieri etero-aggressivi e azioni auto-aggressive estranee a questioni etiche legate allo spazio pubblico.

A volte l’ethos confonde i polpi che credono di esserne protetti.

Pathos e polpi.

Quest’altro paziente, uno scienziato brillante che ricopre una posizione di rilievo in un’azienda internazionale, lamenta spesso e con enfasi il declino della spiritualità nel mondo occidentale. Il suo discorso, nei suoi termini più ampi, si dipana sui registri della lamentela e della desolazione. Cattolico praticante, manifesta il suo sostegno a tutte le religioni, cristiane o no, monoteiste o no, perché ai suoi occhi hanno tutte il vantaggio di difendere una visione dell’uomo e del mondo sotto l’egida di una realtà sovrasensibile. Per lui, una lettura condivisa del mondo subordinata ai principi religiosi ha la precedenza sulle differenze di opinione che possono esistere tra i mortali. Ad esempio, politicamente ancorato a destra, questo francese ammira François Mitterrand dopo averlo sentito dire, durante le sue ultime volontà nel 1994: “Credo nel potere della mente. Non ti lascerò.”

Non sorprende che quest’uomo abbia ricevuto la fede dai suoi genitori, che molto presto lo hanno indirizzato verso il catechismo. Fin da bambino, la messa e la celebrazione delle feste religiose gli procuravano una gioia intensa e mistica. La situazione è ancora la stessa oggi.

Accanto a questo aspetto, la sua infanzia fu segnata anche da ripetuti litigi all’interno della coppia genitoriale. I suoi genitori, persone semplici che non avevano studiato, finirono per divorziare quando lui aveva 11 anni. Come molti bambini in circostanze simili, si era inconsciamente sentito responsabile dei conflitti tra loro e della conseguente separazione. Soffriva ancora di più perché amava entrambi i genitori, nonostante si rimproverassero a vicenda e si mostrassero violenti (verbali, ma anche fisici) l’uno verso l’altro. A causa dei loro conflitti, si sentiva abbandonato da loro, come se stessero impiegando le loro energie nel far soffrire l’altro invece di prendersi cura di lui. Paradossalmente, li vedeva anche come vittime che sarebbe stato ingiusto incolpare. Spesso ripeteva la frase: “Se fossero stati più istruiti, sarebbero stati più saggi”. Durante questo periodo turbolento aveva attraversato una fase depressiva (passata inosservata) accompagnata da un forte sentimento di disincanto verso il mondo.

Ancora oggi rimpiange l’incapacità dei suoi genitori di superare le loro divergenze e collega facilmente a questo le difficoltà che incontrerà nella sua vita adulta, in particolare quando si troverà ad affrontare situazioni conflittuali. Tutti questi problemi lo spaventano e lui cerca sempre di risolverli, anche quando non lo espongono o non lo preoccupano in primo luogo. Tanto la scienza quanto la religione gli sono di grande aiuto in questo scopo, consentendogli ciascuna di trovare un senso e una soluzione ai fenomeni, di agire su di essi a partire da un modello globale e rassicurante: la religione che partecipa attraverso l’amore all’incanto benevolo del mondo; la scienza si padroneggia attraverso la comprensione dei fenomeni concreti. Quest’uomo è visto da chi gli sta intorno come una persona pragmatica e sensata, capace di ascoltare e risolvere i problemi, ma nel profondo conserva intatta una profonda sofferenza che si attiva di fronte alle situazioni di conflitto che osserva nella sua stessa vita o in quella del pianeta. Parla con altrettanta sofferenza, ma senza rabbia, di un mondo che vede allontanarsi da Dio e della sofferenza personale ereditata dalla sua storia infantile, ma non associa mai le due cose. Per quello ?

Per mantenere l’equilibrio del suo mondo, quest’uomo mi spiegò che durante l’adolescenza aveva mentalmente stabilito una doppia distinzione: 1) quella tra la parte umana dei suoi genitori e la loro parte divina o spirituale, la prima responsabile della sofferenza da loro vissuta e generata, la seconda associata al conforto che il mondo spirituale gli procura, e 2) quella tra le persone istruite scientificamente e le altre, che gli permetteva di pensare di essere stato semplicemente più fortunato dei suoi genitori nel beneficiare di tale educazione.

Attraverso questa doppia scissione, egli riesce a mantenere una forma di filiazione, di lealtà e di amore verso i genitori: certamente loro si sono dilaniati a vicenda e lo hanno fatto soffrire, ma solo sotto l’influenza del loro “lato umano” e a causa della loro ignoranza; ma il loro ideale religioso – che egli deve loro e che condivide – li unisce “eternamente” al di là delle separazioni e del doloroso passato dei loro rapporti. I “cattivi genitori” vengono così proiettati verso l’esterno, identificati con i vari facinorosi del mondo; Quanto ai “buoni”, vivono nel suo spazio psichico (inconscio) e nell’universo della religione e dell’ideale scientifico.

Sotto l’effetto dei poteri convergenti di queste due forze, egli sfugge alla paura dell’abbandono – sempre per riprendere la frase di Mitterrand – perfino sotto l’effetto della morte o degli impulsi che, secondo Freud, ne traducono la manifestazione in ogni persona.

Sufficientemente informato sul modo di pensare psicoanalitico, non manca mai di ricordarmi che una psicologizzazione degli affetti e delle rappresentazioni non può essere esaustiva. E poi, la psicoanalisi è davvero una scienza? Può spiegare tutto? La teoria dell’inconscio impedisce la fede in Dio? Ecc.

Le sue argomentazioni, in ultima analisi rilevanti, riguardano una fantasia e una sofferenza indipendenti dai fattori da lui addotti: in un mondo migliore, sviluppato sotto l’autorità della ragione (attraverso la scienza) e della fede, i suoi genitori avrebbero sofferto meno e lo avrebbero fatto soffrire meno. In breve, avrebbero potuto fornirgli – da bambino – l’amore, l’attenzione e la cura di cui da adulto deplora insistentemente l’assenza nel mondo, spostando la ragione su parametri esterni. Combattere l’idea di un mondo senza scienza e senza Dio equivale per lui (anche) a conservare, come una fantasia, l’amore per i suoi genitori tanto quanto quello dei suoi genitori per lui, a condurre una lotta con loro e non contro di loro, spostando proiettivamente su un possibile futuro la speranza di riparare un passato doloroso (proprio e familiare).

Pathos, a volte, rilascia inchiostro scuro con l’intento di creare uno spazio di ritiro e consolazione per chi lo produce.

I logos e i polpi.

L’uomo in questione si caratterizza per la sua vasta conoscenza e la sua grande intelligenza, che gli hanno aperto le porte a una vita professionale fruttuosa, intensa, ricca e diversificata. È nella sua sfera privata, e in particolare nelle sue successive relazioni, che le cose gli vanno male.

Spesso cercava la mia approvazione per le carenze di ragionamento che osservava nella moglie, come la natura improbabile delle azioni da lei intraprese o gli atteggiamenti arbitrariamente autoritari che le accompagnavano. Dolce e comprensiva all’inizio del matrimonio, questa donna si sarebbe progressivamente trasformata nel suo opposto. Sebbene il discorso del paziente e i fatti sembrino supportare la sua affermazione, non spiegano le ragioni della metamorfosi della moglie né forniscono risposte ad altri interrogativi che riguardano l’uomo in primo piano. Più precisamente, la dimostrazione rigorosa che egli avanza sulla base dei suoi esempi è soprattutto un mezzo per produrre un diversivo – come l’inchiostro dei cefalopodi – per nascondere le ragioni che lo hanno spinto a collocare nella sua vita una donna di cui oggi denuncia con tanto vigore e argomentazione inarrestabile le disfunzioni legate al suo carattere e al suo modo di pensare. I rimproveri che rivolge a lei servono anche a giustificare la sua mancanza di impegno nei confronti della coppia.

Un altro paradosso: le lacrime della moglie (ne versa tante quante sono le sue rabbia nei confronti del marito, che afferma di amare ancora) lo turbano sempre e lo portano ad adottare un atteggiamento più gentile nei suoi confronti… finché non si allontana di nuovo da lei per i motivi menzionati.

Dai ricordi del paziente emerse rapidamente che durante la sua infanzia la madre, morta da anni e il cui ricordo, prima dell’inizio dell’analisi, gli appariva come un paradiso perduto, era in realtà una donna di intelligenza limitata, regolarmente inadeguata nei suoi pensieri e nelle sue azioni nei confronti del figlio. A posteriori, il paziente riconosce in queste situazioni una violenza simbolica e arbitraria che associa immediatamente ai tratti della personalità che denuncia nella moglie.

Anche questa madre aveva subito regolarmente violenze da parte del marito (il padre della paziente). Da bambino aveva assistito a molte scene di questo tipo. Aveva sviluppato un odio per il padre (al quale in seguito non avrebbe certo voluto assomigliare) e un impulso empatico e protettivo nei confronti della madre.

Sposando una donna che assomigliava in modo così inquietante alla madre (le due donne erano cresciute nello stesso quartiere), il paziente fece rivivere – per un periodo di tempo limitato… – la fantasia di una madre amorevole che avrebbe potuto rassicurarlo e prendersi cura di lui, ma si ritrovò nella realtà – e per averla anche fatta rivivere! – di fronte a colei che un tempo, lungi dall’incarnare per lui conforto e legame, non lo capiva, non gli dedicava tempo, prendeva decisioni sbagliate nei suoi confronti e gli faceva desiderare di scappare da lei. Anche senza picchiare fisicamente la moglie, quest’uomo la trattava con la stessa durezza con cui suo padre trattava la sua.

Prigioniero del punto cieco della sua intelligenza, nessuna retorica che pretenda di basarsi sul logos può liberarlo. Per fare questo, ha bisogno di produrre un cambiamento paradigmatico che gli permetta di pensare diversamente, stabilendo una distinzione sufficiente tra le aspettative (in senso attuale e fantasticato) di un bambino nei confronti della madre e quelle di un uomo nei confronti della donna. Uscendo dalla verticalità delle relazioni che gli è familiare fin dalla giovinezza – e che lui stesso riproduce a più livelli – accederebbe a un’orizzontalità relazionale tra partner uguali e complementari, capaci di costruire insieme un futuro comune. Allora smetterebbe di cercare ciò che teme (o di fuggire da ciò che cerca) per raggiungere la felicità di coppia a cui nel profondo aspira.

A volte il logos oscura ciò che non illumina.

Quali sono i mezzi a disposizione della psicoanalisi per contrastare al meglio questi diversi meccanismi di difesa? Il più efficace, a mio parere, resta quello di cui Freud per primo intuì il pieno potenziale: il sogno.

L’intuizione fondamentale e fondante del significato dei sogni per la psicoanalisi comprende infatti, oltre alle questioni metodologiche e teoriche, un aspetto radicalmente filosofico, inerente alla questione della verità, poiché Freud vede nelle manifestazioni oniriche una via privilegiata di accesso a quest’ultima, basandosi sull’idea che i sogni stessi costituiscano l’espressione privilegiata delle verità inconsce dei loro produttori. Come abbiamo visto, le parole dei pazienti, quando esprimono i loro pensieri, anche sotto l’effetto della retorica che mettono in atto, sono spesso permeate dai meccanismi di difesa in esse espressi. Freud ovviamente non sostiene che i sogni non riflettano movimenti difensivi; Al contrario, danno forma ai loro conflitti psicologici in modo condensato, nucleare, potremmo dire. Vorrei tuttavia sottolineare due punti che distinguono l’enunciazione dei sogni dalle osservazioni che i pazienti producono in altri momenti clinici: 1) I sogni non utilizzano espedienti retorici perché 2) questi ultimi vengono disinnescati (e sostituiti) dall’apparente assurdità che ne copre il significato. Il velo dell’assurdo, naturalmente costituito dal sogno stesso, protegge insomma la verità di cui esso è testimone dal velo retorico e dai suoi consueti marcatori discorsivi (con valore difensivo). Presentandosi come fatti grezzi – come una pietra sarebbe chiaramente definita dalla sua verità minerale fattuale – i sogni costituiscono in realtà, come ci insegna la psicoanalisi, una porta di accesso privilegiata alla verità intima del sognatore. Anche perché danno l’impressione di non rivolgersi a nessun pubblico o interlocutore specifico, i sogni traducono una logica di conflitto inconscio che sfugge alla censura e agli impulsi retorici a cui essa conduce. I sogni non parlano, non nascondono, ma significano… La verità dell’inconscio che Freud ricerca attraverso la psicoanalisi non si unirebbe allora, per via sua, a quella che Eraclito attribuiva al dio Apollo…?

A causa del loro aspetto assurdo, i sogni in realtà producono una connessione concreta ma insolita di elementi a priori sparsi o dissociati, che sfuggono alla censura del paziente. Affidandosi, al momento opportuno, alle corrispondenze paradossali che esse stabiliscono, diventa possibile, con il supporto di quest’ultimo, rendere coscienti i movimenti psichici più inconsci del paziente, aggirando insieme a lui i suoi meccanismi difensivi a un livello più indiretto e meno conflittuale.

Per concludere, ecco un’illustrazione scelta attorno allo stesso tema utilizzato negli esempi precedenti.

È il sogno di una giovane donna: dare alla luce una bambina in ospedale. Di fronte al tavolo del parto, dietro una parete di vetro, ci sono la madre e la nonna materna. Una volta terminato il parto, la paziente si unirà a loro per presentare il bambino. Nel suo sogno, è consapevole di voler in questo momento includere sua figlia nella continuità generazionale che lega queste donne. Sua madre e sua nonna diventarono così una sola persona. Il paziente porge il neonato tra le braccia. Nota che la bocca di questa persona è stranamente chiusa. Immediatamente, viene colta da una sensazione di estremo pericolo per la figlia. Poi riprende la figlia dalle mani della donna, le si getta addosso, la afferra per i capelli e le fracassa la testa a terra fino a farla morire… Fine del sogno.

Nessuna retorica; solo “fatti”. È brutale e sanguinoso, tanto più se si pensa che nella vita reale questa giovane donna, altrimenti cortese e riservata, pratica uno sport che le ha permesso di sviluppare una muscolatura impressionante…

Ecco ora le sue associazioni. Per prima cosa nota l’assenza di qualsiasi figura maschile nel sogno. In realtà questa donna non ha (ancora) figli, ma è un progetto che per lei ha senso. La madre, a differenza del padre, ha sempre rappresentato per lei una figura stabile e rassicurante. Ha potuto contare su di lei in passato e sa di poterlo fare anche oggi. Non c’è dubbio che lei lo ami. Di certo non ha intenzione di fargli del male.

Poi nota il particolare della bocca che commenta come segue: “in realtà, spesso era il contrario; Mia madre parlava sempre troppo, soprattutto quando raccontava ai figli aspetti della sua vita privata o le sue preoccupazioni, come i problemi con nostro padre.” Il paziente ha vissuto questi momenti con paura e disagio; La facevano sentire insicura, ma non riusciva a contrastarne gli effetti per un senso di lealtà verso la madre. Eppure in quei momenti avrebbe voluto farla tacere (nel sogno, chiuderle la bocca… ucciderla…).

La madre – e per estensione il femminile in generale – rappresenta quindi per lei una figura ambivalente, protettiva e comprensiva ma anche generatrice di ansie, anche perché fin da piccola ne avvertiva la fragilità. Alla prima di queste figure femminili, ella desidera portare il suo bambino per registrarlo – alla maniera delle “bambole russe” – in una discendenza transgenerazionale; dal momento in cui cerca di proteggere la figlia producendo, nel modo più radicale, una rottura, una discontinuità, con lei. E aggiunge: “Se mia madre non avesse avuto figli da quest’uomo, noi (madre e figlie) non avremmo dovuto soffrire a causa sua”. Anche la madre si assumerebbe quindi una parte di responsabilità per la sofferenza del figlio, avendogli imposto questo padre assente e disinvestito (nel sogno, l’assenza di qualsiasi figura maschile o paterna fin dalla sala parto, come se la donna facesse i figli da sola).

Questo sogno ha suscitato in me solo poche domande e quasi nessun intervento. Era sufficiente lasciare che le libere associazioni facessero il loro corso. Conducevano il paziente direttamente in acque profonde, all’incontro con pensieri e affetti potenti e veri, la cui consapevolezza si accompagnava a quella della differenza di piano tra pensieri consci e inconsci. Il quadro generale a cui è giunta le consente di sfuggire alla morsa di queste ultime, non confutandole, ma al contrario integrandole nella sua comprensione delle questioni che sollevano. Una volta rese coscienti, tali rappresentazioni perdono il loro potere terrificante; non necessitano più di elaborati meccanismi di difesa per contenerli.

Quando non avvertono un imminente senso di pericolo (interno o esterno), i polpi a volte nuotano in acque la cui trasparenza non sentono il bisogno di scurire con il loro inchiostro.


[1] Pour rappel, la rhétorique pour Aristote vise à produire une argumentation sur des opinions, là où la logique entend produire une démonstration sur la vérité scientifique des faits. Il ne sera ici question que du traité sur la première, La Rhétorique, sans aborder la question du logos en tant qu’agent (également) de la seconde.

[2] Qu’Aristote aborde longuement dans le Livre I de la Rhétorique.

[3] Auquel Aristote consacre l’essentiel du Livre II de la Rhétorique

[4] Éditions École Normale Supérieure (ENS), 2016.

[5] Traité essentiellement dans les Livres I et III de la Rhétorique.

[6] Mais qui serait aussi pertinente rapportée à d’autres contextes.

[7] À des fins séductrices (au sens large du terme).

[8] La vérité (ἀλήθεια) comme dévoilement de l’être ou surgissement hors du retrait de l’étant en soi, en suivant également Martin Heidegger.

[9] Ou a minima l’idée ou le principe de celui-ci.

[10] Son père présentait lui-même de nombreux traits pervers et consacrait l’ensemble de son temps à la marche de ses affaires.

[11] Pour des questions de confidentialité, je ne donne pas davantage de détails, même si ces derniers seraient très éclairants.

[12] Il s’assure toujours d’acheter et de vendre les biens dont il fait commerce à un prix juste.

[13] ce que la religion catholique interdit, au principe selon lequel ce que Dieu a uni, l’homme ne peut le désunir.

[14] Les Todestriebe, comme il les nomme.

[15] Le Royaume de Dieu et le partage à grande échelle, sur Terre, des principes scientifiques.

[16] C’est un euphémisme.

[17] Au sens ontologique et épistémologique (en termes paradigmatiques).

[18] Ce qu’il appelle leur contenu manifeste.

[19] À la manière, toujours, des poulpes et de leur encre…

[20] Mais au fond, grâce à elle.

[21] Je précise, qui n’est pas de contact.

[22] Cette séquence illustre le mécanisme psychique que la psychanalyse nomme « inversion dans son contraire ». Un exemple célèbre figure chez Freud dans son essai sur « l’homme aux loups », dont il interprète en termes de mouvement l’immobilité des loups sur l’arbre dans le rêve de son patient.

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