par Thémélis Diamantis
(FRA/ITA traduzione in fondo)
À S. A., laquelle aime Beckett autant qu’elle le connait.
Chante maintenant, Winnie, chante ta chanson, il n’y a plus que ça à faire. (S. Beckett, Oh les beaux jours)
Cet article aurait tout aussi bien pu s’intituler « Samuel Beckett ou la “solitarité” du sens », tant son œuvre théâtrale met en scène des situations et des dialogues qui ne traduisent ni sens ni communication interpersonnelle aboutie, en même temps qu’elle témoigne d’un lien fort et touchant, au-delà des mouvements de langage, reliant entre eux des personnages, qui, généralement par paires, en peuplent l’espace scénique et de parole[1] : Winnie et Willie dans Oh les beaux jours, Vladimir et Estragon, ainsi que Lucky et Pozzo dans En attendant Godot, ou Hamm et Clov dans Fin de partie[2].
En référence à Beckett et sur la base de diverses études psychanalytiques, je souhaite engager dans les lignes à venir une réflexion dans l’horizon de la psychanalyse sur le thème de la solidarité, de la solitude et du sens, prolongeant celle de mon article « Naître et apprendre à mourir »[3] : si la psychanalyse, conformément à son héritage freudien, fait principalement dépendre son objectif thérapeutique de la mise en sens des manifestations des patients, je chercherai à montrer que la solidarité reliant l’analyste à son patient, indépendamment des interprétations produites ou quand celles-ci s’avèrent imperméables ou inaccessibles à ce dernier, représente un moyen majeur de l’accompagnement psychanalytique et donc de ses objectifs thérapeutiques. C’est sur ce plan et non sur celui du sens que Beckett, s’appuyant aussi comme nous verrons sur son expérience analytique personnelle, instruit les psychanalystes.
Le renoncement au sens et aux actions partagées auxquelles il pourrait mener ne doit pas inviter les humains à produire de l’abandon entre eux, semble nous dire l’auteur. Godot, on le sait, ne viendra jamais, emportant dans son absence l’espoir d’un usage du monde dont on l’annonçait porteur, renforçant plus encore l’idée d’une errance au sein d’un univers de souffrances, absurde et sans but. En attendant Godot prend d’ailleurs fin sur cette injonction brève d’Estragon à Vladimir : « Allons-y ». Mais personne ne bouge et le rideau tombe, laissant le spectateur au sentiment ambivalent que Vladimir et Estragon n’engageront aucune action commune ou individuelle susceptible d’améliorer leur sort, mais aussi qu’ils resteront l’un avec l’autre, quoi qu’il arrive. Winnie et Willie en feront autant, clôturant la pièce par un silence accompagné d’un regard long.
Abandonnés au désespoir d’un monde sans mode d’emploi et sans perspective de lendemains meilleurs, précaires, souffrants et vulnérables, les héros beckettiens donnent à voir le vide intérieur qui les habite autant qu’ils jettent, sans illusion mais en conscience, leurs mots dans un vide extérieur en direction de ceux qui les entendent (sur scène ou dans la salle) à défaut de les comprendre ou de pouvoir en faire usage. Beckett écrit : « Les mots vous lâchent, il est des moments où même eux vous lâchent » (Oh les beaux jours). Ou encore : «On dit tout. Tout ce qu’on peut. Et pas un mot de vrai nulle part.» (Oh les beaux jours)
L’autre, le destinataire des phrases proférées, pour Beckett, est un partenaire de condition et non un partenaire de sens ; il reste inaccessible au pouvoir des mots qu’il entend à la manière de cris dont il ne sait parfois s’ils émanent de lui-même ou de son partenaire, comme Winnie le suggère dans l’extrait suivant: « (…) Bien sûr, j’entends des cris. (Un temps.) Mais ils sont dans ma tête, non ? » (Oh les beaux jours). D’ailleurs les personnages semblent souvent ne parler qu’à eux-mêmes, comme Winnie quand elle se dit : « (…) Commence, Winnie. (Un temps.) Commence ta journée, Winnie. (…) » (Oh les beaux jours). L’autre semble avoir disparu, remplacé par le sujet lui-même qui joue son rôle. Ni Vladimir, ni Estragon ne rencontreront Godot, mais chacun des deux protagonistes, par les carences du langage qu’ils emploient, n’est-il pas le « Godot » de l’autre, voire de lui-même ?
Pour les personnages de Beckett, la rencontre avec le tiers semble ainsi se heurter à la barrière du vide intérieur qui les habite ou se trouve réduite à la souffrance partagée imposée par des conditions de vie ingrates ou à la différence insurmontable qui unit des singularités déchirées. Reliés par la déliaison, condamnés à l’incompréhension et à l’attente[4], ils puisent en cette dernière leur sentiment d’exister[5] et prononcent leurs phrases comme Sisyphe poussait son rocher, par sentiment de nécessité ou d’urgence et non pour engager des actions en direction d’un but atteignable ou juste avec l’espoir d’arriver quelque part. “Le sujet s’éloigne du verbe… et le complément direct vient se poser quelque part dans le vide.”(En attendant Godot). Comme l’écrit Denis Gauer dans son article « En attendant (d’interpréter) Godot » (1994) : « Godot est un signifiant en panne de signifié (…) ». Et Beckett d’ajouter dans Fin de partie :
« HAMM : On n’est pas en train de…de…signifier quelque chose ?
CLOV : Signifier ? Nous, signifier ? (Rire bref) Ah, elle est bonne ! »
Quel usage alors faire des mots quand ils ne renvoient à aucune chose ni ne servent à relier les sujets entre eux ? Simplement continuer à parler, semble dire Beckett. Mais alors à qui et pourquoi, puisque tous ces personnages semblent perdus dans une attente stérile, en panne de mots, d’actions, de sens et de but, ce qu’exprime Vladimir ?: « Ce qui est certain, c’est que le temps est long, dans ces conditions, et nous pousse à le meubler d’agissements qui, comment dire, qui peuvent à première vue paraître raisonnables, mais dont nous avons l’habitude. Tu me diras que c’est pour empêcher notre raison de sombrer. C’est une affaire entendue. Mais n’erre-t-elle pas déjà dans la nuit permanente des grands fonds, voilà ce que je me demande parfois» (En attendant Godot). Et pourtant, malgré toutes les impasses évoquées, le lien entre les personnages ne se brise pas ; ils tiennent l’un à l’autre, survivent l’un par l’autre, comme l’illustre le dialogue suivant :
« ESTRAGON (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
VLADIMIR (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) Alors, te revoilà, toi.
ESTRAGON : Tu crois ?
VLADIMIR : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON : Moi aussi.
VLADIMIR : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Estragon)
ESTRAGON (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure
Silence. » (En attendant Godot).
« Quelque chose suit son cours », comme Clov ne cesse de le répéter dans Fin de partie. Oui, mais quoi ?
Beaucoup de choses ont été écrites sur Beckett, sur l’homme comme sur son théâtre. Certaines études pointent, à juste titre, les rapports entre l’auteur et la psychanalyse. C’est notamment le cas de l’essai magistral que Didier Anzieu a consacré au dramaturge, Beckett et le psychanalyste (Archimbaud-Mentha, 1992)[6], lui-même précédé, entre autres, par son article « Beckett et Bion » (Revue de psychothérapie psychanalytique de Groupe, vol.5-6, 1986, et repris la même année dans la Revue française de psychanalyse). Anzieu, parmi d’autres textes, publiera encore sur le sujet « Beckett : auto-analyse et créativité » (Revue française de psychanalyse, n° 56, 1992).
La biographe américaine Deirdre Bair, auteur d’un ouvrage essentiel sur Beckett[7], au même titre que Didier Anzieu, rappelle que Beckett avait entrepris entre 1934 et 1935[8] à Londres une cure psychanalytique avec le psychiatre et psychanalyste Wilfred Ruprecht Bion, alors au début de sa carrière. Beckett y mettra fin à Noël 1935, considérant que ce travail le « laissait vide » (Anzieu, 1986) et reprochant ses « idées arrêtées » (Anzieu, 1986) à Bion qui traduiraient son « point de vue d’analyste » (Anzieu, 1986) plus que le ressenti ou les idées de son patient. En somme, Bion n’aurait entendu ni le point de vue propre de son patient, ni la souffrance que ses propos expriment. Il n’aurait formulé à son intention que des interprétations (théorisées) ou des conseils, recommandant notamment à Beckett de prendre ses distances avec sa mère, « veuve abusive, protestante rigide, avec laquelle Sam a toujours profondément souffert d’incommunication » (Anzieu, 1986). Au lieu de rompre avec sa mère, Beckett rompra finalement avec Bion mais connaîtra, comme ce dernier le lui avait prédit, de fortes résurgences de ses symptômes physiques et psychiques chaque fois qu’il la reverra.
Entres autres hypothèses, Anzieu formulera les deux propositions suivantes : (1) pour Bion comme pour Beckett, chacun aurait représenté le « jumeau imaginaire » de l’autre[9] – du fait également de leurs constitutions psychiques et de leurs parcours de vie en miroir[10] – , affirmant même « qu’à partir de 1945, l’œuvre romanesque (en langue française) de Beckett et à partir de 1950 l’œuvre scientifique de Bion (en anglais) constituent des tentatives parallèles d’élaborer ce noyau psychique de ténèbres terrifiantes et de les rendre intelligibles » (Anzieu, 1986) et (2) que Bion, à la manière d’un psychanalyste à l’écoute de son patient, aurait été le destinataire imaginaire auquel s’adressent les paroles des personnages de Beckett, comme si elles prolongeaient le fil des séances de l’analyse interrompue en 1935, Beckett, selon Anzieu (1992[11]), traduisant dans ses pièces non « la structure fermée d’une histoire qui fonctionne [mais] la structure ouverte d’un récit, homologue à celui produit par la situation psychanalytique même ». Les innombrables et longs silences qui ponctuent les pièces de Beckett ne peuvent-ils d’ailleurs pas évoquer ceux qui rythment les séances de psychanalyse ? Quant à leur structure, les pièces de Beckett ne font-elles pas penser aux rêves, comme composées d’un seul acte, sans intrigue ou cadre spatio-temporel véritables et peuplées de personnages à l’identité indéfinissable ?
Vladimir ferait ainsi office de « Bion » pour Estragon (et réciproquement), comme le ferait Winnie pour Willie. Derrière la figure de Bion se profilerait pour Beckett celle de May, la mère de l’auteur, incapable d’accueillir la détresse de ce dernier, au sens de la Hilflosigkeit (le sentiment de ne pouvoir être secouru) du nourrisson. Beckett confiera d’ailleurs à Lawrence Harvey lors d’un entretien : « Ce qui complique tout, c’est le besoin de faire. Comme un enfant dans la boue mais sans boue. Et pas d’enfant. Seulement le besoin. » C’est une belle définition des héros de ses pièces autant qu’une description aboutie du désarroi des nourrissons condamnés à attendre que d’autres subviennent à leurs besoins en prenant soin d’eux. Rendus solitaires du fait de leurs carences affectives – pour reprendre la belle formulation que Boris Cyrulnik[12] emprunte à René Spitz – les héros beckettiens n’en auraient pas perdu le sens de la solidarité. Ils sont là, chacun pour l’autre, avec pour lui leur amour mêlé à leurs rancœurs, à défaut de savoir comment le secourir ou être secourus par lui. Inconsolés et inconsolables, ces nourrissons devenus adultes chercheraient encore le sein consolateur de leur mère – Winnie, tout au long de la pièce, est d’ailleurs enterrée dans un « mamelon » – tout en exprimant à l’égard de leur partenaire une solidarité à l’image de la déficience de leurs capacités à s’entendre et se parler. Beckett met en scène une solidarité du vide (ou des vides), incapable, par absence de sens, de mener à des actions coordonnées ou à un réconfort véritable. Au contraire, la violence des rapports humains – entre Lucky et Pozzo ou entre Hamm et Clov – et l’idée de la mort (par suicide ou homicide) – Winnie manie fréquemment un pistolet qu’elle sort de son sac, Vladimir et Estragon étudient le projet de se pendre et Clov dit vouloir tuer Hamm – déploient en permanence leurs ombres sur le théâtre de Beckett.
Anzieu avance d’ailleurs que cette « terreur sans nom »[13], qui poussa Beckett à rencontrer Bion, relève de ce que ce dernier fera ultérieurement dépendre dans ses travaux de la part psychotique de la personnalité[14], reprenant à Mélanie Klein (qui fut l’analyste de Bion) l’hypothèse d’une « position psychotique » chez le nourrisson. Je renvoie les lecteurs intéressés à l’ensemble de ces riches contributions.
J’ajouterais pour ma part que Beckett, sur ou depuis la question de l’absurde, tend à la psychanalyse un miroir réflexif instructif sur ses ambitions cliniques et théoriques. Cette réflexion (dans les deux sens du terme) s’étend également au rêve, dans la dimension fondatrice que l’étude de ce dernier comporte pour la psychanalyse[15]. Je m’explique. Tout en soulignant le caractère absurde des rêves, au moment de leur énoncé, Freud pensait avoir mis à jour un procédé permettant de découvrir le sens qu’ils recouvrent, comme moyen thérapeutique pour le patient (et producteur du rêve) afin de (re)donner, par la compréhension des conflits psychiques dont ils sont les supports ou les témoins, de l’élan et une cohérence à ses pensées et à ses actions. Depuis un phénomène en apparence absurde – le rêve -, Freud conclut à l’apparition d’un sens salvateur. Tout l’inverse de Godot, que tous attendent mais qui ne vient jamais[16]. Là où le fondateur de la psychanalyse entend bâtir un projet thérapeutique et scientifique sur le sens, le dramaturge irlandais, par des propositions théâtrales pouvant faire penser à des rêves, non seulement dénonce le sens comme une chimère, mais voit le sentiment d’absurdité auquel son absence nous condamne comme un état constitutif et indépassable de la condition humaine. À une dynamique par le sens, il oppose la permanence de l’absurde comme compagnon de vie, comme Winnie l’est pour Willie ou Vladimir pour Estragon. Lors d’un entretien avec Tom Driver, Beckett dira : « Trouver une forme qui accommode le désordre, telle est aujourd’hui la tâche de l’artiste ». Définitivement, les mises en scènes ne sont pas pour lui des mises en sens…
Beckett incarne une position radicale, à l’écart des courants du théâtre ou de la philosophie de son temps. Il refuse autant d’être associé au « théâtre de l’absurde »[17] – détail piquant : tout comme Eugène Ionesco… – ou aux auteurs et philosophes existentialistes (Sartre, Camus). De la philosophie, d’ailleurs, il disait : « Je ne suis pas un philosophe, je ne lis jamais les philosophes ; je ne comprends rien à ce qu’ils écrivent. »
Je pense qu’il a profondément raison sur ces deux points. Rhinocéros, par exemple,d’Eugène Ionesco (1960) se prête à une compréhension par la métaphore, et donc – plus encore sous l’éclairage de Jacques Lacan – … par le sens : l’idéologie et le totalitarisme sont aisément reconnaissables sous le couvert de la « rhinocérite »[18] à laquelle succombent les villageois de la pièce. Le « théâtre de l’absurde », né durant la seconde guerre mondiale, s’oppose au réalisme mais non à l’idée ou au principe du sens. Beckett fait l’inverse : son théâtre décrit de l’intérieur un sentiment d’absurdité vraie et indépassable. Il est de ce fait un dramaturge résolument réaliste. Estragon souffre de sa condition de vie aussi réalistiquement que du caillou dans sa chaussure. Beckett, pourrait-on dire, place ces deux réalités sur un plan paritaire. C’est absurde ; c’est factuel…et c’est tout. Leur réalité n’exprime aucun sens ; elle est juste un fait pouvant être constaté comme la présence d’un caillou dans une chaussure. Au nom de ce principe, la réalité du sentiment (d’absurdité) prévaut chez Beckett sur toute dramaturgie réaliste au sens du récit.
À titre de comparaison, pour prendre des histoires de rois, le personnage de Ubu chez Alfred Jarry[19]– considéré comme un précurseur du théâtre de l’absurde – joue sur scène la bêtise humaine ; il en offre simplement au public un miroir décalé[20] ; de la même façon, chacun reconnaît son rapport à la mortalité ou le questionnement qu’elle induit dans le Roi se meurt (1962) de Ionesco autant que la portée métaphorique de sa pièce, alors que Vladimir ou Estragon sont le désespoir que chaque lecteur ou spectateur des œuvres de Beckett peut identifier en lui. Ce désarroi est acté plus qu’il n’est interprété. De la même façon, les philosophes existentialistes, pensent l’absurdité du monde et de la vie, là où Beckett l’éprouve dans sa chair et celle de ses personnages, cherchant à convoquer (plus qu’à produire) ce même sentiment chez le public. Le rejoignant sur cet aspect, Ionesco disait : « le théâtre n’est pas le langage des idées. »
Freud ou Beckett, alors ? Le salut par le sens ou la vérité insurmontable du désespoir et de l’absurde ?
Les travaux de Anzieu permettent de rendre justice aux deux. Ils supposent néanmoins quelques explications d’ordre psychopathologique. La majorité des études portant sur la question de la structure psychopathologique de Beckett pointent – pour les plus catégoriques – en direction d’une organisation psychotique (de type schizophrénique) du fait de la prévalence des questions du vide, de la déliaison, de la dysfonction du langage, etc., ou, – pour les plus modérées, voire les plus optimistes – vers l’hypothèse d’une structure de type état-limite, comprenant elle-même bon nombre de traits psychotiques.
Découverte par Freud grâce à l’étude de patients principalement névrosés, le traitement psychanalytique fondé sur la mise à jour de la signification inconsciente de leurs manifestations dans la cure, suppose chez les patients des dispositions introspectives suffisantes et un usage de la parole associative, de la symbolisation ou de la distinction entre les choses, les individus ou les situations et les représentations qui leurs sont associées. Peut-on compter sur de telles ressources chez l’ensemble des patients ? Notamment pour ceux – et ils sont nombreux – dont la structure psychique relève de la psychose ou des états-limite ? N’est-il par ailleurs pas avéré par la littérature psychanalytique[21] que même chez les patients névrosés des points de fixation archaïques (traduisant leur organisation psychique prégénitale) existent et même qu’ils servent de fondations aux élaborations structurellement supérieures qu’elles soutiennent ? Autrement dit, la psychanalyse peut-elle se contenter de produire du sens ? Une interprétation bien conduite met certes en lien des représentations et produit du sens, notamment pour des personnes sensibles à sa question ; indépendamment de cette dernière, le lien qui relie les humains entre eux n’en importe pas moins pour autant. Il représente la seule garantie contre les angoisses primitives d’abandon, ce que Beckett dit également à sa manière :
« ESTRAGON : Ne me touche pas ! Ne me demande rien ! Ne me dis rien ! Reste avec moi !
VLADIMIR : Est-ce que je t’ai jamais quitté ?
ESTRAGON : Tu m’as laissé partir. » (En attendant Godot)
La solidarité – dans la forme qu’elle prend en psychanalyse – ne s’exprime par aucun agir mais dans le transfert, la neutralité, l’écoute et surtout dans la présence bienveillante à l’autre plus que dans un effort interprétatif qui serait communiqué au patient ou construit avec lui. Elle suppose qu’une souffrance puisse être entendue par l’analyste, recueillie par ce dernier plus que traduite et verbalisée par lui[22]. Savoir que l’autre est là, qu’il entend la souffrance des mots plus qu’il n’en guette le sens, qu’il en accepte la charge plus que l’enveloppe, sans lui-même parfois la comprendre pleinement ou la ressentir avec l’intensité dont elle brûle le patient, permet à ce dernier d’accéder au sentiment d’avoir été entendu, dans ses ténèbres incandescentes, avant ou même au lieu d’en voir le contenu transfiguré (et donc modifié) par un déploiement de la raison mené sous l’autorité du sens. La psychanalyse est une plongée dans les profondeurs dionysiaque avant d’être une pratique apollinienne[23]. Ni Estragon, ni Vladimir, ni aucun des personnages de Beckett ne remplissent véritablement de fonction ou de rôle pour l’autre ; ils lui sont cependant indispensables. À l’inverse de Bion qui du temps de son analyse avec Beckett pensait l’aider en formulant des propositions dont le sens conduirait son patient à adopter des conduites l’éloignant de sa souffrance, les personnages de Beckett sont juste là, pour dire et pour entendre (dans le mouvement défaillant des mots et de leur écoute) une souffrance antérieure au langage dont celui-ci constitue davantage l’écho qu’il n’en est le représentant direct.
Bion, en suivant Anzieu, l’a sans doute aussi compris grâce à Beckett. Il aurait, dans le transfert, au temps de leur travail commun, dû être la mère de Beckett – en se montrant évidemment plus adéquat ou plus empathique qu’elle –, incarner cet accueil maternel rassurant par sa présence et son écoute, d’une manière plus aboutie que les héros beckettiens – prisonniers de leurs carences – dans les duos qu’ils forment. Interpréter en psychanalyse – même de la plus judicieuse des façons et à des moments propices – c’est toujours aussi produire une forme de violence[24] analogue – même si elle s’en distingue sur le fond – à celle d’un jugement de valeur. Est-il dès lors étonnant que Beckett, qui à cette époque vivait dans la terreur des jugements que sa mère portait sur lui, ne pouvait entendre les interprétations de Bion ? Elles le repoussaient dans la souffrance dont elles voulaient l’extraire.
Mieux même que ses pièces, la réaction de Beckett à l’obtention, en 1969, du Prix Nobel de Littérature, illustre cet aspect. Il acceptera certes ce prix mais le qualifiera à titre personnel de « catastrophe » et enverra son éditeur le chercher à sa place. Il craignait notamment une inflation du nombre d’études universitaires spécialisées sur son œuvre. À y regarder de plus près, cette réaction n’a rien de surprenant. Je l’interprète sur deux plans renvoyant l’un comme l’autre à la problématique interne de Beckett et à son expérience avec Bion : (1) sa défiance à l’égard du sens, dont les travaux universitaires sont de zélés artisans, et (2) sa volonté (inconsciente) que le « cri » de désespoir produit par ses personnages soit entendu – originairement par la mère de l’auteur – plutôt que de voir les textes qui les contiennent compris ou rationnalisés par de savants anonymes. Le pire, pour Beckett, était sans doute que la seconde option finisse par recouvrir la première, la rendant définitivement inaudible, générant, trente-quatre ans après la fin de son analyse avec Bion, une armée de clones de ce dernier (dont cet article, à son corps défendant, serait un soldat parmi d’autres). Cette interprétation semble d’ailleurs confirmée par son ami, le philosophe et écrivain Émile Cioran, qui écrivit : « Samuel Beckett. Prix Nobel. Quelle humiliation pour un homme si orgueilleux ! La tristesse d’être compris ». J’ajouterais pour ma part: alors qu’il n’avait toujours pas acquis le sentiment d’avoir été entendu…
« Se taire et écouter, pas un être sur cent n’en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie » écrivait Beckett dans Molloy.
Je voudrais conclure ce propos sur une vignette clinique dont la correspondance avec l’expérience thérapeutique de Beckett avec Bion me semble frappante. Ces éléments sont évidemment rapportés avec l’accord de la patiente. Je l’en remercie.
Il s’agit d’une femme très cultivée dont l’organisation psychique est clairement névrotique. Je la suis depuis longtemps. Elle dispose d’importantes capacités introspectives, de parole, de ressenti et de symbolisation. Attentive aux tiers, elle l’est autant à la portée morale de ses actes. Malgré les progrès analytiques obtenus (elle ne prend plus d’antidépresseurs depuis des années à présent, alors qu’elle ne pouvait jadis s’en passer), un fond dépressif, apparent dès le début du travail, subsistait et parfois même connaissait de vives poussées. Plus étonnant encore : ces épisodes dépressifs survenaient souvent au sortir de phases analytiques particulièrement riches d’un sens dégagé, assimilé et validé par la patiente…
La vie de cette femme a lourdement été impactée par un fait désorganisateur – un événement familial majeur intervenu avant sa naissance – dont elle a subi de plein fouet les conséquences dans sa vie d’enfant[25], au sein de sa famille comme sur le plan de ses rapports sociaux, produisant en elle une distorsion de sa lecture du monde accompagnée parfois d’une retenue craintive envers des tiers proches ainsi qu’un espace mental hybride entre ce qui est vrai et ce qui ne l’étant pas peut néanmoins se faire passer pour tel. Elle a fondé (avec succès) son métier sur cet établi psychique. Sa construction identitaire et sa sexualité témoignent également de ce dernier.
L’essentiel du travail a porté sur la question de son désir et de son inhibition ainsi que sur ses peurs et ses angoisses, en distinguant ce qui lui appartient en propre (y compris sur un plan fantasmatique) de ce dont elle a été victime et qui a injustement biaisé sa lecture du monde et des rapports humains. C’est classiquement un travail sur l’affect et la représentation, comme Freud nous l’a appris, la patiente se libérant progressivement par la parole du poids des éléments qu’elle comprenait après les avoir retrouvés et retraversés sur un plan émotionnel, par l’introspection, la mise en liens et grâce au transfert. C’était un écheveau tentaculaire, mêlant des éléments structurels à un donné empirique subi mais également agi auquel, dans son ensemble, il a fallu (re)donner du sens, relier les causes à leurs effets et distribuer les éléments dans les catégories distinctes auxquelles ils appartiennent pour ouvrir à la patiente le champ de nouveaux horizons.
Quand les faits mènent à des récits, la psychanalyse en explore le sens au travers des représentations de mots et de choses ainsi que des affects qui les accompagnent. C’est le domaine de prédilection de cette discipline, l’espace des interprétations qui, formulées de manière sensible, rigoureuse et empathique, produisent du sens et ses effets du soin. Avec une telle patiente, cette démarche fonctionne à plein rendement. Remplit-elle pour autant tous les critères du soin ? Et que se passe-t-il quand le récit vient à manquer aux faits ? Quand ces derniers passent sous les radars du langage et de la symbolisation ? Ils traduisent alors une forme différente d’antériorité à celle, par exemple, du fait désorganisateur ayant précédé la naissance de la patiente. Ce dernier a d’ailleurs de tout temps généré du récit, en l’occurrence douloureux. À l’inverse, ce qui échappe aux mots échappe à leur pouvoir. Il n’en convoque pas moins l’angoisse et la détresse, peut-être même sous une forme plus excessive encore. Beckett n’est pas loin.
Récemment la patiente a apporté un rêve. J’en ferai part après la remarque liminaire suivante : ce rêve ainsi que les affects et les idées qu’il soulève occupent actuellement encore mes séances avec cette patiente ; d’entente avec celle-ci, il a donc été décidé de ne rapporter ici sa parole que de manière succincte (alors qu’elle produit des phrases longues et des idées enchaînées) et tronquée, afin de réserver – en les protégeant – leur intégralité et leurs développements à l’espace de la cure. Le lecteur me le pardonnera.
Le rêve, à présent : elle et moi nous trouvons debout de part et d’autre d’une voiture à l’arrêt, elle se tenant du côté du conducteur, moi de celui du passager ; nous dialoguons ainsi par-dessus le toit du véhicule. Soudain, elle réalise que je ne suis plus moi-même mais son confrère et ami « Dominique »[26] (ou que je suis en même temps ces deux personnes). Cette révélation produit en elle un malaise qui la projette au sol. Elle évoquera ensuite (en séance) une « crise physique très profonde, très ancestrale, très archaïque, comme une lame de fond ». Dans son rêve, je[27] m’adresse alors à elle en lui reprochant sans ménagement de simuler ce malaise, dont elle sait dans son corps qu’il est réel, au principe que « je saurais distinguer un vrai malaise d’un malaise feint ». Dans son rêve – mais encore aussi à son réveil – la patiente est parcourue de « tremblements » ; elle éprouve un « état de sidération », le sentiment d’une « trappe s’ouvrant au fond d’elle », provoqué par la dénonciation en tant que simulacre d’un évanouissement pourtant réel.
Elle poursuit : « Ce rêve fait écho au travail que je viens de réaliser » [28], ajoutant : « les manifestations physiques vécues durant le rêve m’étaient familières depuis un lointain passé, quand j’étais à l’hôpital toute petite enfant.»
Elle apporte aussi ce qui suit : elle avait en réalité demandé à deux confrères, tous deux prénommés « Dominique »[29], (lesquels se connaissent bien et dont elle estime le jugement autant qu’elle le craint), de lui faire part de leur opinion[30] sur son travail récent, rappelant au passage – ce que je savais déjà – que le prénom « Dominique » est également celui de sa mère. Derrière les deux « Dominique » et moi-même, se trouverait ainsi cette dernière. Mais de quel artifice l’accuserait-elle ? Et pourquoi la patiente se retrouve-t-elle figée dans le silence que son malaise produit ? Durant son enfance, ce sont plutôt ses parents qui jouaient une « comédie » et c’est elle, des années durant, qui avait espéré de sa mère – aujourd’hui morte – une parole éclairante et vraie sur les fameux faits antérieurs à sa naissance et les conséquences humaines qu’ils ont entraînés. Nous savions, elle comme moi, que cette parole de la mère ne vint pas plus que Godot ; elle l’emporta dans le silence de sa tombe comme Godot le fait de la sienne par son absence. Tout au plus, cette réduction de la patiente au silence, dans le rêve, faisait-elle écho à sa propre incapacité de questionner ses parents sur les faits à l’origine du contexte socio-familial douloureux. Cette lecture, on le devine, à défaut d’être incorrecte est manifestement partielle et insatisfaisante. Le rêve exprimait également autre chose. C’est à moi, comme nous le verrons, et comme il le dit d’ailleurs lui-même, qu’il s’adressait très directement.
À partir de la scène du malaise, la patiente revint alors sur l’événement de l’hôpital qu’elle venait d’évoquer, mais dont je précise qu’elle avait déjà fait part à plusieurs reprises lors de séances précédentes : les médecins avaient très tôt diagnostiqué chez elle une grave maladie des fonctions digestives dont ils pensaient qu’elle pouvait lui être fatale, ce dont ils avaient informé les parents. Son état nécessita d’ailleurs une période d’hospitalisation entre ses cinq et ses sept mois[31] afin d’y recevoir des soins dans un cadre médicalisé, sans possibilité pour les parents de se rendre au chevet de leur fille et de la toucher. Plus tard, sa mère lui dira : « c’était un déchirement de te voir sans pouvoir t’approcher ; tu hurlais tout le temps parmi tous ces bébés ».
Au cours de la même séance, elle rapporta deux autres éléments également déjà déposés en analyse dans le passé. Le premier : à l’âge de dix ans, suite à un cauchemar mettant en scène sa propre mort, elle écrivit (en tout petit) durant la nuit au crayon noir son prénom sur tous les murs des chambres de la maison et sur un ensemble d’éléments mobiliers, afin qu’on ne l’oublie pas, une fois morte…Le second : le témoignage dont sa mère lui fit part de la dernière journée de sa propre sœur, là aussi avant la naissance de ma patiente, et dont le prénom – admettons « Jocelyne » – fut par la suite donné à cette dernière[32], où la mère de la patiente vit sa sœur gratter désespérément de ses ongles le mur qui jouxtait son lit.
La trace – le prénom, son inscription au crayon – l’identification à la morte, les ongles qui grattent le mur et les autres associations : tous ces éléments pointent vers le désarroi mortifère de la fillette dans son lit d’hôpital…
Subitement j’entendais ce que je n’avais entendu que de manière imparfaite ou insuffisante ; je mesurais l’ampleur de cet événement premier sur le cours de la vie de la patiente. À trop explorer le sens des mots, j’avais sous-estimé la part incombant à cette réalité précoce qui avait emporté la patiente, sur le plan organique autant que psychique, aux confins de la mort.
En rationalisant trop vite avec elle la part de ce vécu de nourrisson – métaphoriquement, en mettant en doute, dans le rêve, sa vérité par mon jugement – je la condamnais à mon tour à y rester pour partie enfermée. Ne relevant et ne désignant pas suffisamment tôt un état de souffrance basiquement réel dans sa dimension psychique et somatique, n’encourageant pas assez la parole cathartique de cette femme sur son ressenti propre, c’est comme si je considérais – dans une posture d’autorité (je suis debout alors qu’elle est au sol) – sa souffrance inexistante ou feinte. J’étais ici comme un personnage de Beckett, bridé dans mon écoute de l’autre et dans mes mots pour lui. Voilà ce que son rêve me disait… Il traduisait le reproche fondé qu’elle m’adressait – pouvant simplement se traduire par : « vous n’avez pas suffisamment entendu la détresse d’enfant qui devait être la mienne dans cette situation » – et qui devait certainement correspondre à ce que cette fillette privée de contact avec sa mère avait alors vécu comme une expérience d’abandon précoce et anéantissante. De quoi ancrer un état dépressif durable…À l’absence forcée de la mère au cours d’une phase cruciale de vie de la patiente et à la reconnaissance ultérieurement insuffisante de la part des parents de ce vécu terrifiant de nourrisson, s’ajoutait, dans un mouvement lui faisant écho, celles de son analyste sur cet événement précis et avéré.
Il n’y avait, sur ce plan, rien à interpréter. Il suffisait d’entendre avec empathie et de restituer cette écoute à la patiente, de fournir à son intention dans l’après-coup de l’espace analytique un accueil à son désarroi de nourrisson et d’en reconnaître la légitime pertinence. Mon erreur a été la même que celle de Bion avec Beckett, à la différence que ma patiente n’est pas le dramaturge irlandais : l’urgence dont elle faisait part, ses besoins en termes de sens et ses capacités de symbolisation ont d’emblée dirigé l’analyse vers les innombrables conséquences psychiques du fameux événement familial, autrement dit sur un récit dont la traversée a demandé du temps, du fait également des multiples ramifications qu’il comprend, de leurs croisements, de la complexité des facteurs et de leurs divers destins. Névrosée, elle parlait en termes de sens ; freudien, je l’écoutais dans le confort que sa présence me procurait[33]. En apparence, c’est une alliance thérapeutique parfaite ; elle recevait l’aide qu’elle venait chercher. Or la parole du nourrisson, à la différence de sa souffrance, n’existe pas. Comme pour les personnages de Beckett, elle n’est qu’un cri. La parole, dans ce cas, lui a été rendue par le rêve, le rappel du cauchemar et de la scène de ses dix ans ainsi que par la restitution des diverses paroles de la mère et des associations qui l’accompagnent. C’est alors qu’il a été pleinement reconnu, entendu, accueilli et débattu dans toute son importance fondatrice.
Comme s’il n’était pas assez névrotique pour moi, trop simple, trop évident, trop dans le réel et insuffisamment propice à des constructions interprétatives, j’avais trop longtemps minimisé la part de cet événement traumatique premier, limitant le soin au champ du symbolisable au détriment de l’écoute d’un désespoir originaire qui depuis trop longtemps demandait à accéder à la reconnaissance ou au pouvoir des mots.
Comme Beckett l’écrit dans Molloy : « La douleur muette est davantage à redouter ».
[1] Pour des questions de format, je n’aborderai ici principalement que les deux pièces les plus connues de Beckett : En attendant Godot (rédigée – en français – en 1948 et publiée en 1952) et Oh les beaux jours (1961, pour la version anglaise ; 1963, pour sa traduction en français par Beckett).
[2] Publiée en français en 1957, avant d’être traduite la même année en anglais, par Beckett lui-même, sous le titre Endgame.
[3] Exagere, janvier-février 2023.
[4] « VLADIMIR : Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
ESTRAGON : On attend.
VLADIMIR : Oui, mais en attendant ? » (En attendant Godot)
[5] « On ne se débrouille pas trop mal, hein, Didi, tous les deux ensemble ? (…) On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l’impression d’exister ? » (En attendant Godot)
[6] Réédité en 2004 sous le titre Beckett, Le Seuil-Archimbaud.
[7] Deirdre Bair, Samuel Beckett : A biography (1978), pour lequel elle reçut le National Book Award en 1981.
[8] C’est-à-dire entre ses 28 et ses 29 ans.
[9] « (…) non pas le jumeau identique que Bion a décelé chez ses patients schizophrènes, mais le double complémentaire qui apparaît comme une étape décisive du processus créateur » (Anzieu 1986).
[10] Anzieu (1986) pointe notamment leurs propensions communes au cynisme, au retrait et à la dépression.
[11] Beckett et le psychanalyste, p. 110.
[12] Quarante voleurs en carence affective : Bagarres animales et guerres humaines (2023)
[13] Il parle aussi d’un sentiment d’« agonie primitive » ou de « mort psychique »
[14] W. Bion, Second thoughts (1967)
[15] S. Freud, L’interprétation des rêves (1899-1900).
[16] Sous ce jour, Godot symboliserait pour Beckett l’utopie du sens.
[17] Selon la définition de Martin Esslin.
[18] Une maladie qui transforme les humains en rhinocéros…
[19] Ubu roi (1896)
[20] Par la scénographie, le texte, etc., éloignés des codes du théâtre classique.
[21] Voir notamment Jean Bergeret, Psychologie pathologique (1972), La personnalité normale et pathologique (1974), etc.
[22] A fortiori dans une perspective théorisée.
[23] Voir aussi, Thémélis Diamantis, « Des mystères du sens à la lumière des normes : quel espace pour dire et penser la psychanalyse ? » in Exagere, novembre – décembre 2023.
[24] Voir Piera Aulagnier, La violence de l’interprétation (1975)
[25] Et au-delà de celle-ci.
[26] Nom d’emprunt, évidemment. Je m’expliquerai ensuite sur le choix de ce prénom pouvant être celui d’un homme ou d’une femme…
[27] À ce moment, c’est clairement moi.
[28] Pour les raisons évoquées, je ne développe délibérément pas ce point, pourtant essentiel pour la patiente, car il articule chez cette dernière, son espace intime à celui de sa vie professionnelle.
[29] L’un étant celui dont l’identité dans le rêve se confond avec la mienne.
[30] Dans la réalité, leurs retours sur son travail, antérieurs au rêve, furent pleinement positifs.
[31] Une période cruciale, quand on pense aux travaux de Spitz.
[32] Aux trois « Dominique » viennent faire écho les deux « Jocelyne ». Le double ou le jumeau identitaire de l’autre disait Anzieu de Bion et de Beckett. Le fantôme aussi de cet autre, pourrait-on ajouter, comme Vladimir le serait d’Estragon (et inversement) ou celui de sa tante jamais rencontrée (comme Godot) pour ma patiente mais dont elle porte le prénom et a croisé le destin aux portes de la mort. C’est dans l’après-coup (Nachträglichkeit), nous apprend Freud, que du sens est donné aux faits.
[33] N’ayant pas eu l’occasion de rendre hommage dans cet article à l’humour de Beckett, je me permets d’ajouter ici que donner à un psychanalyste un récit en lui demandant d’en dégager du sens, c’est comme lancer une baballe à un berger australien…
Samuel Beckett ovvero la solidarietà prima del senso
A S.A., che ama Beckett tanto quanto lo conosce.
di Thémélis Diamantis
Questo articolo avrebbe potuto facilmente intitolarsi “Samuel Beckett o la “solitudine” del significato”, poiché la sua opera teatrale descrive situazioni e dialoghi che non traducono né significato né comunicazione interpersonale riuscita, e allo stesso tempo testimonia un forte e toccante legano, al di là dei movimenti del linguaggio, collegando tra loro i personaggi, che, generalmente in coppia, popolano la scena e lo spazio di parola: Winnie e Willie in Oh the Beautiful Days, Vladimir e Estragon, così come Lucky e Pozzo in Aspettando Godot, o Hamm e Clov in Endgame.
Con riferimento a Beckett e sulla base di diversi studi psicoanalitici, desidero avviare nelle prossime righe una riflessione nell’orizzonte della psicoanalisi sul tema della solidarietà, della solitudine e del significato, ampliando quella del mio articolo “Nascere e imparare a morire” “: se la psicoanalisi, secondo la sua eredità freudiana, fa dipendere il suo obiettivo terapeutico principalmente dal dare un senso alle manifestazioni dei pazienti, cercherò di mostrare che la solidarietà che lega l’analista al suo paziente, indipendentemente dalla interpretazioni prodotte o quando queste si rivelano impermeabili o inaccessibili a quest’ultima, rappresenta uno strumento importante del sostegno psicoanalitico e quindi dei suoi obiettivi terapeutici. È su questo piano e non su quello del significato che Beckett, avvalendosi come vedremo anche della sua personale esperienza analitica, istruisce gli psicoanalisti.
La rinuncia al significato e alle azioni condivise a cui potrebbe condurre non dovrebbe invitare gli esseri umani a produrre abbandono tra di loro, sembra dirci l’autore. Godot, lo sappiamo, non verrà mai, portando con sé nella sua assenza la speranza di una fruizione del mondo di cui si annunciava portatore, rafforzando ulteriormente l’idea di vagare all’interno di un universo sofferente, assurdo e senza meta. . L’attesa di Godot si conclude con questa breve ingiunzione di Estragone a Vladimir: “Andiamo”. Ma nessuno si muove e il sipario cala, lasciando nello spettatore la sensazione ambivalente che Vladimir ed Estragon non intraprenderanno alcuna azione congiunta o individuale che possa migliorare la loro sorte, ma anche che rimarranno insieme, qualunque cosa accada. Winnie e Willie faranno lo stesso, chiudendo la stanza con un silenzio accompagnato da un lungo sguardo.
Abbandonati alla disperazione di un mondo senza istruzioni e senza prospettiva di un domani migliore, precari, sofferenti e vulnerabili, gli eroi di Beckett mostrano il vuoto interiore che li abita tanto quanto gettano via, senza illusione ma in coscienza, le loro parole in una dimensione esterna. vuoto nei confronti di chi li ascolta (sul palco o in sala) per non comprenderli o non saperli utilizzare. Beckett scrive: “Le parole ti deludono, ci sono momenti in cui anche loro ti deludono” (Oh the Beautiful Days). O ancora: “Diciamo tutto. Tutto quello che possiamo. E non una parola di verità da nessuna parte. (Oh, che bei giorni)
L’altro, il destinatario delle frasi pronunciate, per Beckett è un partner di condizione e non un partner di significato; rimane inaccessibile al potere delle parole che sente come grida che a volte non sa se provengono da lui stesso o dal suo partner, come suggerisce Winnie nel seguente estratto: “(…) Certo che sento urlare. (Pausa). Ma sono nella mia testa, giusto? » (Oh che belle giornate). Inoltre, i personaggi spesso sembrano parlare solo tra loro, come Winnie quando dice a se stessa: “(…) Inizia, Winnie. (Pausa). Inizia la giornata, Winnie. (…)» (Oh che belle giornate). L’altro sembra scomparso, sostituito dal soggetto stesso che interpreta il suo ruolo. Né Vladimir né Estragon incontreranno Godot, ma ciascuno dei due protagonisti, per i limiti del linguaggio che utilizza, non è il “Godot” dell’altro, o anche di se stesso?
Per i personaggi di Beckett, l’incontro con il terzo sembra così scontrarsi con la barriera del vuoto interiore che li abita o si riduce alla sofferenza condivisa imposta da condizioni di vita ingrate o alla differenza insormontabile che unisce singolarità lacerate. Legati dal distacco, condannati all’incomprensione e all’attesa, traggono da quest’ultima il loro sentimento di esistere e pronunciano le loro frasi come Sisifo spinse la sua roccia, per un sentimento di necessità o di urgenza e non per avviare un’azione verso uno scopo raggiungibile o semplicemente con la speranza di arrivare da qualche parte. “Il soggetto si allontana dal verbo… e il complemento diretto si ferma da qualche parte nel vuoto.” (Aspettando Godot). Come scrive Denis Gauer nel suo articolo “Waiting (to interpret) Godot” (1994): “Godot è un significante privo di significato (…)”. E Beckett aggiunge in Endgame:
“HAMM: Non stiamo… dicendo qualcosa?
clov Vuoi dire? Noi, intendi? (breve risata) Ah, è brava! »
Che uso si può allora fare delle parole quando non si riferiscono ad alcuna cosa né servono a collegare tra loro i soggetti? Continua a parlare, sembra dire Beckett. Ma allora a chi e perché, dal momento che tutti questi personaggi sembrano persi in un’attesa sterile, privi di parole, di azioni, di senso e di scopo, ciò che Vladimir esprime?: “Quello che è certo è che il tempo è lungo, in queste condizioni, e ci spinge a colmare con azioni che, come dire, che a prima vista possono sembrare ragionevoli, ma alle quali siamo abituati. Mi direte che è per evitare che la nostra ragione venga meno. È un affare fatto. Ma non sta già vagando nella notte permanente degli abissi marini, questo è ciò che a volte mi chiedo” (Aspettando Godot). Eppure, nonostante tutte le impasse citate, il legame tra i personaggi non si spezza; si prendono cura l’uno dell’altro, sopravvivono l’uno attraverso l’altro, come illustra il seguente dialogo:
“ESTRAGONE (arrendendosi di nuovo): Niente da fare.
VLADIMIRO (avvicinandosi a passi piccoli e rigidi, a gambe divaricate): Comincio a crederci. (Si ferma.) Ho resistito a lungo a questo pensiero, dicendomi: Vladimir, sii ragionevole. Non hai ancora provato tutto. E ho ripreso la lotta. (Si riprende, pensando alla lotta. A Estragon.) Quindi, eccoti di nuovo qui.
ESTRAGONE Lo credi?
VLADIMIRO Sono felice di rivederti. Pensavo che te ne fossi andato per sempre.
ESTRAGONE: Anch’io.
VLADIMIRO: Cosa possiamo fare per celebrare questo incontro? (Pensa.) Alzati così posso baciarti. (Tende la mano a Estragon)
ESTRAGONE (irritato): Più tardi, più tardi
Silenzio. » (Aspettando Godot).
“Qualcosa sta facendo il suo corso”, come continua a dire Clov in Endgame. Sì, ma cosa?
Molto è stato scritto su Beckett, sia sull’uomo che sul suo teatro. Alcuni studi sottolineano giustamente i rapporti tra l’autore e la psicoanalisi. È il caso in particolare del magistrale saggio che Didier Anzieu ha dedicato al drammaturgo Beckett e lo psicoanalista (Archimbaud-Mentha, 1992), a sua volta preceduto, tra gli altri, dal suo articolo “Beckett et Bion” (Revue de psychoanalytic group psychotherapy, vol. 5-6, 1986, e ristampato lo stesso anno nella Revue française de psychanalyse). Anzieu, tra gli altri testi, pubblicherà nuovamente sul tema “Beckett: autoanalisi e creatività” (Revue française de psychanalyse, n° 56, 1992).
Il biografo americano Deirdre Bair, autore di un’opera essenziale su Beckett, come Didier Anzieu, ricorda che Beckett aveva intrapreso tra il 1934 e il 1935 a Londra un trattamento psicoanalitico presso lo psichiatra e psicoanalista Wilfred Ruprecht Bion, allora all’inizio della sua carriera. Beckett vi pose fine nel Natale del 1935, ritenendo che questo lavoro “lo lasciasse vuoto” (Anzieu, 1986) e rimproverando a Bion le sue “idee fisse” (Anzieu, 1986) che rifletterebbero il suo “punto di vista di analista” (Anzieu , 1986) più dei sentimenti o delle idee del suo paziente. Insomma, Bion non avrebbe ascoltato né il punto di vista del suo paziente, né la sofferenza che le sue parole esprimono. Avrebbe solo formulato (teorizzato) per lui interpretazioni o consigli, raccomandando in particolare a Beckett di prendere le distanze dalla madre, «vedova violenta, rigida protestante, con la quale Sam ha sempre sofferto profondamente di incomunicabilità» (Anzieu, 1986). Invece di rompere con la madre, Beckett romperà definitivamente con Bion ma sperimenterà, come quest’ultimo aveva previsto, forti riacutizzazioni dei suoi sintomi fisici e psicologici ogni volta che la rivedrà.
Tra le altre ipotesi, Anzieu formulerà le seguenti due proposizioni: (1) per Bion come per Beckett, ciascuno avrebbe rappresentato il “gemello immaginario” dell’altro – anche a causa delle loro costituzioni psichiche e dei loro percorsi di vita speculari -, affermando addirittura ” che dal 1945 il lavoro romanzesco (in francese) di Beckett e dal 1950 il lavoro scientifico di Bion (in inglese) costituiscono tentativi paralleli di sviluppare questo nucleo psichico di terrificante oscurità e di renderli intelligibili” (Anzieu, 1986) e (2) che Bion, come uno psicoanalista in ascolto del suo paziente, sarebbe stato il destinatario immaginario a cui le parole dei personaggi di Beckett, come se continuassero Dopo aver interrotto il filo delle sedute dell’analisi nel 1935, Beckett, secondo Anzieu (1992), traduce nei suoi pezzi non “la struttura chiusa di un storia che funziona [ma] la struttura aperta di una storia, omologa a quella prodotta dalla stessa situazione psicoanalitica”. Gli innumerevoli e lunghi silenzi che punteggiano i brani di Beckett non potrebbero evocare quelli che punteggiano le sedute di psicoanalisi? Quanto alla struttura, le opere di Beckett non ricordano forse i sogni, come se fossero composte da un unico atto, prive di una vera trama o di un quadro spazio-temporale e popolate da personaggi dalle identità indefinibili?
Vladimir agirebbe quindi come “Bion” per Estragon (e viceversa), come Winnie farebbe per Willie. Dietro la figura di Bion sembrerebbe per Beckett quella di May, la madre dell’autore, incapace di accettare l’angoscia di quest’ultimo, nel senso della Hilflosigkeit (il sentimento di non poter essere aiutato) del neonato. Beckett ha confidato anche a Lawrence Harvey durante un’intervista: “Ciò che complica tutto è la necessità di fare. Come un bambino nel fango ma senza fango. E niente bambini. Solo il bisogno. » È una bella definizione degli eroi delle sue opere teatrali nonché una felice descrizione dell’angoscia dei bambini condannati ad aspettare che altri provvedano ai loro bisogni prendendosi cura di loro. Resi solitari a causa delle loro carenze emotive – per usare la bella formulazione che Boris Cyrulnik prende in prestito da René Spitz – gli eroi beckettiani non avrebbero perso il loro senso di solidarietà. Sono lì, l’uno per l’altro, con l’amore per lui misto al risentimento, senza sapere come aiutarlo o farsi aiutare da lui. Sconsolati e inconsolabili, questi bambini divenuti adulti cercherebbero ancora il seno confortante della madre – Winnie, in tutta la commedia, è sepolta in un “capezzolo” – mentre esprimevano verso il loro partner una solidarietà con l’immagine della deficienza delle loro capacità. per ascoltarsi e parlarsi. Beckett dipinge una solidarietà del vuoto (o dei vuoti), incapace, per mancanza di significato, di condurre ad azioni coordinate o ad un vero conforto. Al contrario, la violenza dei rapporti umani – tra Lucky e Pozzo o tra Hamm e Clov – e l’idea della morte (per suicidio o omicidio) – Winnie maneggia spesso una pistola che tira fuori dalla borsa, Vladimir ed Estragon studiano il piano per impiccarsi e Clov dice che vuole uccidere Hamm – dispiegare permanentemente le loro ombre sul teatro di Beckett.
Anzieu sostiene anche che questo “terrore senza nome”, che spinse Beckett a incontrare Bion, si collega a ciò che quest’ultimo farà dipendere più tardi nel suo lavoro dalla parte psicotica della personalità, riprendendo da Mélanie Klein (che fu l’analista di de Bion) l’ipotesi di una “posizione psicotica” nel neonato. Rimando i lettori interessati a tutti questi ricchi contributi.
Da parte mia, aggiungerei che Beckett, sulla o a partire dalla questione dell’assurdo, offre alla psicoanalisi un istruttivo specchio riflessivo sulle sue ambizioni cliniche e teoriche. Questa riflessione (nelle due accezioni del termine) si estende anche ai sogni, nella dimensione fondante che lo studio di questi ultimi comporta per la psicoanalisi. Lasciami spiegare. Pur sottolineando la natura assurda dei sogni, al momento della loro enunciazione, Freud pensò di aver scoperto un processo che permetteva la scoperta del significato che essi rivestono, come mezzo terapeutico per il paziente (e produttore del sogno) al fine di (ri ) danno, attraverso la comprensione dei conflitti psicologici di cui sono supporti o testimoni, slancio e coerenza ai propri pensieri e alle proprie azioni. Da un fenomeno apparentemente assurdo – il sogno – Freud conclude che appare un significato salvifico. Tutto il contrario di Godot, che tutti aspettano ma che non arriva mai. Laddove il fondatore della psicoanalisi intende costruire un progetto terapeutico e scientifico sul significato, il drammaturgo irlandese, attraverso proposizioni teatrali che possono far pensare ai sogni, non solo denuncia il significato come una chimera, ma vede il sentimento di assurdità a cui la sua assenza condanna noi come stato costitutivo e insormontabile della condizione umana. Ad una dinamica attraverso il senso egli oppone la permanenza dell’assurdo come compagno di vita, come lo è Winnie per Willie o Vladimir per Estragon. In un’intervista con Tom Driver, Beckett ha detto: “Trovare una forma che accolga il disordine, questo è il compito dell’artista oggi”. Sicuramente le scene non sono per lui creazioni di significato…
Beckett incarna una posizione radicale, lontana dalle correnti teatrali o dalla filosofia del suo tempo. Rifiuta anche di essere associato al “teatro dell’assurdo” – dettaglio piccante: proprio come Eugène Ionesco… – o ad autori e filosofi esistenzialisti (Sartre, Camus). Della filosofia, inoltre, diceva: “Io non sono un filosofo, non leggo mai filosofi; Non capisco niente di quello che scrivono. »
Penso che abbia profondamente ragione su entrambi i punti. Rhinoceros, ad esempio, di Eugène Ionesco (1960) si presta a essere compreso attraverso la metafora, e quindi – ancor più alla luce di Jacques Lacan – … attraverso il significato: ideologia e totalitarismo sono facilmente riconoscibili sotto il rivestimento della “rinocerite” a cui gli abitanti del villaggio nella stanza soccombono. Il “teatro dell’assurdo”, nato durante la seconda guerra mondiale, si oppone al realismo ma non all’idea o principio di significato. Beckett fa il contrario: il suo teatro descrive dall’interno un sentimento di vera e insormontabile assurdità. È quindi un drammaturgo decisamente realistico. Estragon soffre della sua condizione di vita in modo realistico come un sassolino nella scarpa. Beckett, si potrebbe dire, pone queste due realtà su un piano paritario. Questo è assurdo; è vero… e basta. La loro realtà non esprime alcun significato; è proprio un fatto che si può constatare come la presenza di un sasso in una scarpa. In nome di questo principio, la realtà del sentimento (dell’assurdo) prevale in Beckett su ogni drammaturgia realistica nel senso del racconto.
Per fare un paragone, per prendere le storie dei re, il personaggio di Ubu in Alfred Jarry – considerato un precursore del teatro dell’assurdo – mette in scena la stupidità umana; offre semplicemente al pubblico uno specchio spostato; allo stesso modo, tutti riconoscono il proprio rapporto con la mortalità o gli interrogativi che essa induce in Il re sta morendo (1962) di Ionesco tanto quanto la portata metaforica della sua opera, mentre Vladimir o Estragon sono la disperazione che ogni lettore o spettatore dell’opera di Beckett le opere possono identificarsi con lui. Questo sgomento viene registrato più che interpretato. Allo stesso modo, i filosofi esistenzialisti pensano all’assurdità del mondo e della vita, laddove Beckett la sperimenta nella propria carne e in quella dei suoi personaggi, cercando di evocare (più che produrre) questo stesso sentimento nel pubblico. D’accordo con lui su questo aspetto, Ionesco afferma: “il teatro non è il linguaggio delle idee. »
Freud o Beckett, allora? La salvezza attraverso il significato o la verità insormontabile della disperazione e dell’assurdo?
Il lavoro di Anzieu rende giustizia ad entrambi. Implicano tuttavia alcune spiegazioni di carattere psicopatologico. La maggior parte degli studi che affrontano la questione della struttura psicopatologica di Beckett puntano – per i più categorici – nella direzione di un’organizzazione psicotica (di tipo schizofrenico) a causa della prevalenza di questioni di vuoto, abbandono, disfunzione del linguaggio, ecc. oppure – per i più moderati, anche i più ottimisti – verso l’ipotesi di una struttura di tipo borderline, comprendente essa stessa un buon numero di tratti psicotici.
Scoperto da Freud attraverso lo studio di pazienti prevalentemente nevrotici, il trattamento psicoanalitico basato sull’aggiornamento del significato inconscio delle loro manifestazioni nel trattamento, presuppone nei pazienti sufficienti disposizioni introspettive e un uso del linguaggio associativo, della simbolizzazione o distinzione tra le cose, individui o situazioni e le rappresentazioni ad essi associate. Possiamo contare su tali risorse tra tutti i pazienti? In particolare per coloro – e sono molti – la cui struttura psichica si riferisce a psicosi o stati borderline? Non è forse dimostrato anche dalla letteratura psicoanalitica che anche nei pazienti nevrotici esistono punti di fissazione arcaici (che riflettono la loro organizzazione psichica pregenitale) e addirittura che essi servono da fondamento per le elaborazioni strutturalmente superiori che essi sostengono? In altre parole, la psicoanalisi può accontentarsi di produrre significato? Un’interpretazione ben condotta collega sicuramente le rappresentazioni e produce significato, soprattutto per le persone sensibili alla questione; a prescindere da quest’ultimo, non è meno importante il legame che collega gli esseri umani tra loro. Rappresenta l’unica garanzia contro le angosce primitive di abbandono, che anche Beckett dice a modo suo:
“ESTRAGONE: Non toccarmi! Non chiedermi niente! Non dirmi niente! Resta con me!
VLADIMIRO Ti ho mai lasciato?
ESTRAGONE: Mi lasci andare. » (Aspettando Godot)
La solidarietà – nella forma che assume in psicoanalisi – non si esprime in alcuna azione ma nel transfert, nella neutralità, nell’ascolto e soprattutto nella presenza benevola verso l’altro più che in uno sforzo interpretativo che verrebbe comunicato al paziente o costruito con lui. . Suppone che la sofferenza possa essere ascoltata dall’analista, raccolta da quest’ultimo anziché tradotta e verbalizzata da lui. Sapere che l’altro è lì, che sente la sofferenza delle parole più di quanto ne guardi il significato, che accetta il peso più della busta, senza che lui stesso a volte lo capisca pienamente o senta l’intensità con cui brucia il paziente , consente a quest’ultimo di accedere alla sensazione di essere stato ascoltato, nella sua oscurità incandescente, prima o addirittura invece di vederne il contenuto trasfigurato (e quindi modificato) da un dispiegamento della ragione compiuto sotto autorità Senso. La psicoanalisi è un tuffo nelle profondità dionisiache prima di essere una pratica apollinea. Né Estragon, né Vladimir, né alcuno dei personaggi di Beckett svolgono veramente alcuna funzione o ruolo per l’altro; tuttavia, sono essenziali per questo. A differenza di Bion, che durante l’analisi con Beckett pensava di aiutarlo formulando proposte il cui significato avrebbe portato il suo paziente ad adottare comportamenti che lo allontanassero dalla sua sofferenza, i personaggi di Beckett sono semplicemente lì, a dire e ad ascoltare (nel movimento fallimentare delle parole e del loro ascolto) una sofferenza anteriore al linguaggio di cui questo costituisce più l’eco che il diretto rappresentante.
Bion, seguendo Anzieu, lo ha indubbiamente capito anche grazie a Beckett. Sarebbe stato, nel transfert, durante il tempo del loro lavoro congiunto, la madre di Beckett – mostrandosi ovviamente più adeguato o più empatico di lei -, incarnando questa rassicurante accoglienza materna attraverso la sua presenza e il suo ascolto, con un modo più compiuto rispetto a gli eroi beckettiani – prigionieri delle loro mancanze – nei duetti che formano. Interpretare in psicoanalisi – anche nel modo più giudizioso e nei momenti opportuni – produce sempre anche una forma di violenza analoga – anche se fondamentalmente distinta – a quella del giudizio di valore. C’è quindi da stupirsi che Beckett, che a quel tempo viveva nel terrore dei giudizi della madre su di lui, non potesse ascoltare le interpretazioni di Bion? Lo hanno respinto nella sofferenza da cui volevano strapparlo.
Ancor meglio delle sue opere teatrali, la reazione di Beckett quando vinse il Premio Nobel per la letteratura nel 1969 illustra questo aspetto. Certamente accettò il premio, ma personalmente lo descrisse come un “disastro” e mandò il suo editore a ritirarlo per lui. Temeva soprattutto un’inflazione nel numero degli studi universitari specializzati sulla sua opera. A ben vedere, questa reazione non sorprende. Lo interpreto su due livelli, entrambi riferiti alla problematica interna di Beckett e alla sua esperienza con Bion: (1) la sua sfiducia nei confronti del significato, di cui le opere universitarie sono zelanti artigiani, e (2) il suo desiderio (inconscio) che il “grido” della disperazione prodotta dai suoi personaggi venga ascoltata – in origine dalla madre dell’autore – piuttosto che vedere i testi che li contengono compresi o razionalizzati da studiosi anonimi. Il peggio, per Beckett, fu senza dubbio che la seconda opzione finì per coprire la prima, rendendola definitivamente inudibile, generando, trentaquattro anni dopo la fine dell’analisi con Bion, un esercito di cloni di quest’ultimo (di cui questo articolo , con riluttanza, sarebbe un soldato tra gli altri). Questa interpretazione sembra confermata anche dal suo amico, il filosofo e scrittore Émile Cioran, che scrisse: “Samuel Beckett. Premio Nobel. Che umiliazione per un uomo così orgoglioso! La tristezza di essere capiti”. Aggiungo da parte mia: mentre ancora non aveva acquisito la sensazione di essere stato ascoltato…
“Stare in silenzio e ascoltare, nessuna persona su cento è capace di farlo, o addirittura capisce cosa significhi”, ha scritto Beckett in Molloy.
Vorrei concludere questa discussione con una vignetta clinica la cui corrispondenza con l’esperienza terapeutica di Beckett con Bion mi sembra sorprendente. Tali elementi vengono ovviamente riportati con il consenso del paziente. Lo ringrazio per questo.
Si tratta di una donna molto colta la cui organizzazione psichica è chiaramente nevrotica. La seguo da molto tempo. Ha notevoli capacità introspettive, di parola, di sentimento e di simbolizzazione. Attenta verso i terzi, è altrettanto attenta al significato morale delle sue azioni. Nonostante i progressi analitici ottenuti (ormai da anni non prendeva antidepressivi, mentre prima non poteva farne a meno), permaneva un fondo depressivo, evidente fin dall’inizio del lavoro, che talvolta avvertiva anche forti spinte. Ancora più sorprendente: questi episodi depressivi avvenivano spesso al termine di fasi analitiche particolarmente ricche di significato liberato, assimilato e validato dal paziente…
La vita di questa donna è stata fortemente segnata da un evento disorganizzante – un importante evento familiare avvenuto prima della sua nascita – le cui conseguenze ha subito direttamente nella sua vita di bambina, sia all’interno della sua famiglia che sul piano sociale. possono tuttavia passare per tali. Lei (con successo) ha fondato la sua professione su questo banco di lavoro psichico. Anche la sua costruzione identitaria e la sua sessualità testimoniano quest’ultima.
Gran parte del lavoro si è concentrato sulla questione del suo desiderio e delle sue inibizioni nonché delle sue paure e angosce, distinguendo ciò che le appartiene specificatamente (anche a livello di fantasia) da ciò di cui è stata vittima e che ne ha ingiustamente distorto la lettura. il mondo e le relazioni umane. Si tratta classicamente di un lavoro sull’affetto e sulla rappresentazione, come ci ha insegnato Freud, in cui la paziente si libera gradualmente attraverso la parola dal peso degli elementi che comprende dopo averli ritrovati e riattraversati a livello emotivo, attraverso l’introspezione, le connessioni e il transfert. Si trattava di una matassa tentacolare, che mescolava elementi strutturali con un dato empirico vissuto ma anche agito al quale, nel suo insieme, era necessario (ri)dare significato, collegare le cause ai loro effetti e distribuire gli elementi nelle distinte categorie da che appartengono all’apertura al paziente del campo di nuovi orizzonti.
Quando i fatti sfociano in storie, la psicoanalisi ne esplora il significato attraverso le rappresentazioni delle parole e delle cose nonché degli affetti che le accompagnano. È questo l’ambito di predilezione di questa disciplina, lo spazio delle interpretazioni che, formulate in maniera sensibile, rigorosa ed empatica, producono significato e i suoi effetti di cura. Con un paziente del genere, questo approccio funziona a pieno regime. Soddisfa comunque tutti i criteri di cura? E cosa succede quando la storia non corrisponde ai fatti? Quando passano sotto il radar del linguaggio e della simbolizzazione? Riflettono allora una forma di anteriorità diversa da quella, ad esempio, dell’evento disorganizzante che ha preceduto la nascita del paziente. Quest’ultimo ha sempre generato storie, in questo caso dolorose. Viceversa, ciò che sfugge alle parole sfugge al loro potere. Evoca tuttavia angoscia e disagio, forse anche in forma ancora più eccessiva. Beckett non è lontano.
Recentemente il paziente ha portato un sogno. Lo condividerò dopo la seguente osservazione introduttiva: questo sogno, nonché gli affetti e le idee che suscita, occupano attualmente ancora le mie sedute con questo paziente; d’accordo con lei, si è quindi deciso di riportare qui le sue parole solo in maniera succinta (mentre lei produce lunghe frasi e idee concatenate) e troncate, in modo da riservarne – tutelandole – la loro interezza e i loro sviluppi nello spazio della trattazione . Il lettore mi perdonerà.
Il sogno adesso: lei e io ci troviamo ai lati opposti di un’auto ferma, lei dal lato del conducente, io dal lato del passeggero; parliamo dal tetto del veicolo. All’improvviso si rende conto che non sono più me stesso ma il suo collega e amico “Dominique” (o che sono queste due persone allo stesso tempo). Questa rivelazione produce in lei un disagio che la getta a terra. Evocherà poi (in seduta) una “crisi fisica molto profonda, molto ancestrale, molto arcaica, come un’ondata”. Nel suo sogno, mi rivolgo poi a lei rimproverandola senza mezzi termini di simulare questo disagio, che lei sa che nel suo corpo è reale, in base al principio che “saprei distinguere il disagio reale da quello finto”. Nel sogno – ma anche al risveglio – la paziente è presa da “tremori”; sperimenta uno “stato di stupore”, la sensazione di una “trappola che si apre nel profondo di lei”, provocata dalla denuncia come simulacro di uno svenimento tuttavia reale.
E continua: “Questo sogno riecheggia il lavoro che ho appena svolto”, aggiungendo: “le manifestazioni fisiche vissute durante il sogno mi erano familiari da un lontano passato, quando ero in ospedale da bambina”.
Fornisce inoltre quanto segue: in realtà aveva chiesto a due colleghi, entrambi chiamati “Dominique”, (che si conoscono bene e di cui apprezza il giudizio tanto quanto teme), di condividere con lei la loro opinione sul suo recente lavoro , ricordando di sfuggita – cosa che già sapevo – che il nome “Dominique” è anche quello di sua madre. Dietro ai due “Dominique” e al sottoscritto ci sarebbe quest’ultimo. Ma di quale artificio lo accuserebbe? E perché la paziente si ritrova bloccata nel silenzio che il suo disagio produce? Durante la sua infanzia, furono piuttosto i suoi genitori a recitare una “commedia” e fu lei, per anni, ad sperare dalla madre – ormai morta – una parola illuminante e vera sui famosi fatti antecedenti la sua nascita e sulla vicenda umana. conseguenze che hanno causato. Sapevamo, lei come me, che questa parola della madre non veniva più da Godot; lo portò via nel silenzio della sua tomba come Godot fa con la sua assenza. Tutt’al più, questa riduzione della paziente al silenzio, nel sogno, faceva eco alla propria incapacità di interrogare i genitori sui fatti all’origine del doloroso contesto socio-familiare. Questa lettura, possiamo intuire, se non errata, è evidentemente parziale e insoddisfacente. Il sogno esprimeva anche qualcos’altro. Era a me, come vedremo, e come lui stesso dice, che si rivolgeva in modo molto diretto.
Dalla scena del disagio, la paziente è poi tornata all’evento ospedaliero di cui aveva appena parlato, ma che segnalo come aveva già accennato più volte durante le sedute precedenti: i medici avevano molto presto, le è stata diagnosticata una grave malattia digestiva che credevano potesse essere mortale, di cui avevano informato i genitori. Le sue condizioni hanno richiesto anche un periodo di ricovero ospedaliero di età compresa tra i cinque ei sette mesi per ricevere cure in ambito medico, senza che i genitori potessero avvicinarsi al letto della figlia e toccarla. Più tardi, sua madre gli avrebbe detto: “era straziante vederti senza poterti avvicinare; urlavi tutto il tempo in mezzo a tutti quei bambini.
Nella stessa seduta riporta anche altri due elementi già sottoposti ad analisi in passato. La prima: all’età di dieci anni, in seguito ad un incubo che la portò alla morte, scrisse durante la notte (molto piccola) con la matita nera il suo nome su tutte le pareti delle stanze della casa e su un insieme di elementi mobili, per non dimenticarla, una volta morta… La seconda: la testimonianza che la madre le ha raccontato dell’ultimo giorno della propria sorella, sempre prima della nascita della mia paziente, e di cui il nome – ammettiamolo “Jocelyne” – era vicino il seguito dato a quest’ultimo, in cui la madre della paziente vide la sorella grattare disperatamente con le unghie la parete attigua al suo letto.
La traccia – il nome, la sua iscrizione a matita – l’identificazione con la donna morta, i chiodi che graffiano il muro e le altre associazioni: tutti questi elementi indicano l’angoscia mortale della bambina nel suo letto d’ospedale…
All’improvviso ho sentito quello che avevo sentito solo in modo imperfetto o insufficiente; Ho misurato l’entità di questo primo evento nel corso della vita del paziente. Esplorando troppo il significato delle parole, avevo sottovalutato il ruolo di questa realtà precoce che aveva portato il paziente, a livello organico oltre che psicologico, ai confini della morte.
Razionalizzando troppo velocemente con lei la parte di questa esperienza infantile – metaforicamente, mettendo in dubbio, nel sogno, la sua verità attraverso il mio giudizio – l’ho condannata a mia volta a rimanervi in parte intrappolata. Non rilevando e non designando abbastanza precocemente uno stato di sofferenza fondamentalmente reale nella sua dimensione psichica e somatica, non incoraggiando sufficientemente il discorso catartico di questa donna sui propri sentimenti, è come se considerassi – in una posizione di autorità (sto in piedi mentre è a terra) – la sua sofferenza inesistente o finta. Ero qui come un personaggio di Beckett, moderato nell’ascolto degli altri e nelle parole per loro. Questo mi ha detto il suo sogno… Traduceva il fondato rimprovero che mi rivolgeva – che potrebbe essere tradotto semplicemente come: “non hai sufficientemente udito il disagio infantile che dovette essere il mio in questa situazione” – e che deve certamente corrispondere a ciò che questa bambina privata del contatto con la madre aveva poi vissuto come un’esperienza di abbandono precoce e annientante. Quanto basta per ancorare uno stato depressivo duraturo… All’assenza forzata della madre in una fase cruciale della vita del paziente e al conseguente insufficiente riconoscimento da parte dei genitori di questa terrificante esperienza infantile, si aggiunge, in un movimento facendogli eco, quelle del suo analista su questo evento preciso e comprovato.
A questo livello non c’era nulla da interpretare. È bastato ascoltare con empatia e restituire questo ascolto alla paziente, dare alla sua intenzione all’indomani dello spazio analitico un’accoglienza al suo disagio infantile e riconoscerne la legittima rilevanza. Il mio errore è stato lo stesso di Bion con Beckett, con la differenza che la mia paziente non è la drammaturga irlandese: l’urgenza da lei espressa, i suoi bisogni di significato e le sue capacità di simbolizzazione hanno immediatamente indirizzato l’analisi verso le innumerevoli conseguenze psicologiche di la famosa vicenda familiare, cioè su una storia il cui attraversamento ha richiesto tempo, anche per le molteplici ramificazioni che comprende, le loro intersezioni, la complessità dei fattori e la loro miscellanea destini. Nevrotica, parlava in termini di significato; Freudiano, lo ascoltavo nel conforto che la sua presenza mi dava. In superficie si tratta di una perfetta alleanza terapeutica; ha ricevuto l’aiuto per cui era venuta. Ma la parola del bambino, a differenza della sua sofferenza, non esiste. Come per i personaggi di Beckett, è solo un grido. La parola, in questo caso, gli è stata restituita dal sogno, dal ricordo dell’incubo e della scena dei suoi dieci anni, nonché dalla restituzione delle varie parole della madre e delle associazioni che l’accompagnano. Fu allora che esso venne pienamente riconosciuto, ascoltato, accolto e dibattuto in tutta la sua fondativa importanza.
Come se non fosse per me abbastanza nevrotico, troppo semplice, troppo evidente, troppo reale e non sufficientemente favorevole a costruzioni interpretative, avevo per troppo tempo minimizzato la parte di questo evento traumatico primario, limitando la cura al campo del simbolizzabile a scapito dell’ascolto di una disperazione originaria che per troppo tempo ha reclamato l’accesso al riconoscimento o al potere delle parole.
Come scrive Beckett in Molloy: “il dolore muto è da temere di più”.